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Billet de blog 18 décembre 2024

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Mayotte. Département colonie

« Le récit identitaire a pour tâche de définir le groupe, de le faire passer de l'état latent à celui d'une communauté dont les membres sont persuadés d'avoir des intérêts communs, d'avoir quelque chose à défendre ensemble ». Ces mots de l’anthropologue Denis Constant-Martin me semblent tout à fait adaptés au livre du journaliste Rémi Carayol.

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Rémi Carayol, Mayotte. Département colonie, La Fabrique, 2024.

« Le récit identitaire a pour tâche de définir le groupe, de le faire passer de l'état latent à celui d'une communauté dont les membres sont persuadés d'avoir des intérêts communs, d'avoir quelque chose à défendre ensemble »1 Ces mots de l’anthropologue Denis Constant-Martin me semblent tout à fait adaptés au livre du journaliste Rémi Carayol : Mayotte. Département colonie.

Illustration 1

Que connaît-on ici de ce « bout de terre perdu entre Madagascar et la côte est-africaine » ? Pas grand-chose, mais ce pas grand-chose se résume à quelques mots qui font peur : immigration massive, délinquance, misère, bidonvilles et kwassa-kwassa, ces canots de pêche utilisés par les passeurs.

L’archipel des Comores comprend quatre îles dont Mayotte (Maore) qui a refusé l’Indépendance en 1975 et est devenue en 2011 le 101e département français. Mais pourquoi diable les Mahorais ont-ils choisi de rester dans le giron colonial ? Rémi Carayol parle à ce sujet de « reconstruction mémorielle », opération qui consiste à « exagérer les dissensions intercomoriennes » et à « minorer la violence de l’histoire coloniale », faisant de la France, la protectrice des Mahorais. Résumons2 : au milieu du 19e siècle, la France a profité des rivalités entre élites politiques locales pour acheter Maore au sultan qui s’en disait le possesseur, remplacer l’esclavage par du travail forcé3 et s’accaparer les terres des communautés autochtones, avant de mettre la main sur les trois autres îles. Mais la mise en exploitation de ces îles fut un échec et celles-ci végéteront dans la misère jusqu’aux années 1970.

Rémi Carayol nous plonge longuement, dans cette période qui voit Mayotte refuser l’indépendance et le reste des Comores sombrer dans un chaos largement orchestré depuis Paris. D’où un bouleversement radical du rapport au territoire des habitants des quatre îles : « les échanges entre les îles, multiséculaires, étaient quotidiens avant 1975 et ils le sont restés » nous dit l’auteur, sauf que le nouveau statut de l’île a transformé une partie des habitants en clandestins expulsables, en main-d’oeuvre docile et corvéable, et en squatters… Alors l’État rafle et expulse massivement, et bien souvent au mépris du droit. Quant à la départementalisation, elle n’a rien arrangé : elle a achevé de mettre sens dessus dessous Mayotte, sommée d’assimiler sans tarder les valeurs et les lois de la mère patrie, en mettant au rencard les valeurs sur lesquelles elle reposait : esprit communautaire, droit musulman...

Misère sociale, corruption des élites, poussée de l’extrême-droite, absence de services et d’investissements publics, système éducatif sous-dimensionné et à la dérive, explosion de la délinquance juvénile, et de la xénophobie puisque l’on serine aux Mahorais depuis un demi-siècle qu’ils ne sont pas Comoriens : Mayotte se décompose, sous l’oeil des Métropolitains qui cultivent leur entre-soi en attendant l’avion du retour. Séparer Mayotte du reste des Comores a mené à une impasse, d’où il sera difficile de sortir ; mais comme l’écrit Rémi Carayol, « c’est le propre de la colonisation d’avoir créé pareilles équations impossibles à résoudre. »

[Version audio disponible]

Notes

1 Denis Constant-Martin (sldd), Cartes d'identité – Comment dit-on « nous » en politique ?, FNSP, 1994.

2Et il le faut car l’histoire, très bien exposée par l’auteur, est complexe !

3Je vous renvoie à la lecture de : Alessandro Stanziani, Les métamorphoses du travail contraint. Une histoire globale 18e-19e siècle, Presses de SciencesPo, 2021.

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