Pierre Ansart, Naissance de l’anarchisme, Editions de l’Echappée, 2025.
Anne-Sophie Chambost, Proudhon. L’enfant terrible du socialisme, Dunod, 2024
Pour beaucoup, la cause est entendue depuis longtemps. Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) était un penseur certes original mais désarçonnant, aussi bouillonnant que brouillon, un piètre philosophe et un piètre économiste, un moraliste conservateur et misogyne : pour preuve, une fraction de l’extrême-droite a toujours adulé ce chantre petit-bourgeois de la famille et de la petite entreprise artisanale. Mort et enterré, Proudhon ? Non. Des chercheurs, refusant d’abandonner cette œuvre prolifique à la critique rongeuse des souris, entreprennent régulièrement d’en interroger l’intérêt et la pertinence pour nos temps tourmentés.
« Pénétrer dans cette pensée dense n’est pourtant pas chose aisée », reconnaît l’historienne du droit Anne-Sophie Chambost1, dont le Proudhon. L’enfant terrible du socialisme vient d’être réédité chez Dunod. En près de 400 pages, elle nous met dans les pas du penseur bisontin, de cet autodidacte issu des classes populaires, orgueilleux et insatisfait, qui ne désire qu’une chose : l’émancipation des travailleurs. Ses ennemis ont pour noms les économistes libéraux, les politiciens bourgeois si facilement corruptibles, mais aussi ces classes populaires maintenues dans l’ignorance et facilement manipulables. Il se méfie autant des barricades que du suffrage universel… Seul un peuple ayant la conscience de son malheur pourra accomplir la seule révolution qui compte : la révolution sociale, par le bas, autrement dit par les producteurs. La révolution que Proudhon appelle de ses vœux sera l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes, de leur praxis.
La réédition par les éditions de l’Echappée du livre du sociologue Pierre Ansart, Naissance de l’anarchisme, est judicieuse pour qui veut mieux comprendre à la fois les idées de Proudhon et l’intérêt que lui portèrent le mouvement ouvrier naissant au temps de la Première Internationale.
Pour comprendre les idées ou la vision du monde de Proudhon, il faut garder en mémoire la période de leur élaboration : ce temps où les associations ouvrières, comme les sociétés de secours mutuels, fleurissent malgré les menaces de répression qui pèsent sur elles ; ce temps où la subordination, conséquence du contrat de travail, n’a pas encore gagné toutes les têtes ; ce temps où la classe ouvrière se montre adulte, responsable et capable de s’organiser collectivement, en toute autonomie. Proudhon est profondément marqué par l’expérience des canuts lyonnais où le chef d’atelier est à la fois le propriétaire des métiers à tisser, l’employeur des compagnons qui travaillent avec lui et un producteur parmi d’autres. Et c’est ce collectif de travail qui a pour adversaire le marchand-fabricant qui lui fournit la matière première, fixe les tarifs et empoche l’aubaine, autrement dit le bénéfice. Le patron, pour Proudhon, c’est lui et lui seul. Et les canuts qui tomberont sous la mitraille en 1831 et 1834 seront tout autant des chefs d’atelier et que de simples compagnons.
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Proudhon, qui « ancre l’action révolutionnaire dans le présent manufacturier », ne veut rien attendre de l’État, des politiciens, du capital ou de la religion. Il est persuadé que cette floraison d’associations ouvrières marque « l’avènement d’un monde radicalement nouveau ». Pour Proudhon, « l’anarchisme désigne positivement un faire ouvrier, une organisation spontanée dont il faut découvrir et promouvoir les caractères propres. » L’émancipation ou plutôt la démocratie industrielle qu’il appelle de ses vœux, peut se passer de chefs, d’idoles, car les travailleurs portent en eux cette capacité à inventer un monde nouveau, en se fédérant, solidairement.
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1 On lui doit également Proudhon et la norme. Pensée juridique d’un anarchiste, PUR, 2004. Elle a contribué également au Dictionnaire Proudhon (Aden, 2011).