Christophe Prevost

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Billet de blog 16 novembre 2018

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Les causes gagnées d'avance

La recension du livre d’Henri Vermorel par Pascale Fautrier est comme toujours très intéressante. Cette republication remaniée, commentée de la correspondance de Freud et de R. Rolland, offre en effet une perspective captivante sur l’histoire du freudisme et sur le rôle de R. Rolland comme passeur de la pensée viennoise.

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Ce « Dialogue d’avenir » est sans conteste un ouvrage guide des deux pensées. Le livre ainsi compare les positions des auteurs. Il y est question d’antisémitisme, de la grande guerre, de Spinoza, de religion, des Lumières, de romantisme, de nazisme et de stalinisme … Le rôle de S. Zweig, qui admire l’un et l’autre, est déterminant dans la rencontre en 1924 des deux hommes. C’est à la suite de cet échange d’ailleurs que R. Rolland commencera à écrire « Le voyage intérieur » et que S. Freud quelques années plus tard lui enverra son livre « L’avenir d’une illusion ».  

Les œuvres c’est évidemment à l’instant présent qu’on les lit, et c’est aussi au présent qu’on voudrait les amarrer. Aussi, il est tentant de parler  aujourd’hui, comme le fait P. Fautrier, des errements de S. Freud et de R. Rolland, de faire le parallèle entre les périodes d’aveuglement de l’un face à la terreur stalinienne, et des illusions de l’autre quant à l’aptitude de l’Autriche et de l’Italie fascistes à servir de rempart contre le nazisme allemand. Le Viennois sous-estimerait l’essence criminelle du régime nazi, tandis que le Bourguignon refuserait au même moment de reconnaître les crimes staliniens ? A l’instant où parait en France le « Journal de la roue rouge » d’Alexandre Soljenitsyne, il est légitime, un siècle tout de même après la naissance de l’écrivain russe, de dénoncer le totalitarisme soviétique mais aussi l’abjection du nazisme. Cependant, il nous parait toujours un peu vain de prédire le passé. Ah, douceur des causes gagnées d’avance ! Il fallait aux deux intellectuels, tâche infiniment plus difficile dans les années trente, voir le présent et pressentir l’avenir de leur monde bouleversé. Il nous semble, que de ce point de vue et contrairement à ce qu’affirme P. Fautrier, l’autrichien et le français n’ont nullement failli. Lorsque en 1934, R. Rolland tance S. Zweig qui a écrit que le totalitarisme stalinien le dégoûte : « Quand on se sent responsable de la construction d’un monde nouveau, on n’a pas le droit de le laisser saper par des ennemis déguisés sous la fausse “indépendance de l’esprit”», c’est bien évidemment rétrospectivement R. Rolland qui apparait comme le plus résolument lucide. Le romancier allemand H. Mann évoquant le suicide du grand écrivain d’ailleurs ne disait pas autre chose : « Stefan Zweig était fier de ne pas être, en cette époque héroïque, un héros, mais de vivre en la tour d'ivoire. Quand la dernière dalle de la tour d'ivoire a cédé, il n'a pas pu le supporter». Quant à S. Freud, il était pour l’essentiel extrêmement et précocement conscient. « L’avenir d’une illusion » est un livre prémonitoire. Il annonçait en 1927 la barbarie à venir et la négation de la culture humaine qui l'accompagnerait .

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