Christophe Prevost

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Billet de blog 21 novembre 2018

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Justice nulle part

La solennelle, l’exacte balance de la justice ne serait bientôt plus, si elle ne l’avait jamais été, à la disposition du quidam ? Le projet de réforme de Nicole Belloubet ferait peser des menaces insondables sur l’accès au juge pour les citoyens les moins favorisés ? Diantre ! (« Les dangers du projet de loi sur la justice » Michel Deléan).

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les structures sociales, les normes sont si bien incorporées dans nos psychismes et nos corps que nous lisons tranquillement et sans réfléchir quand il est question des tribunaux, notre journal préféré . Nous avons tous un sens pratique du monde en général et du monde la justice en particulier. Présidente du Syndicat de la magistrature, présidente du Syndicat des avocats de France, juge d'instance, greffière d'instruction au tribunal, journaliste ou lecteurs ordinaires, nous n’avons nullement conscience des mécanismes juridiques que nous imposons ou qu'au contraire nous subissons. Nous avons au moins tous cela en commun. La violence symbolique ordinairement s’exerce et la reproduction des inégalités d’accès à la justice sont naturalisés même lorsqu’il s’agit de mollement les contester[1].

Le gouvernement avec son nouveau projet de loi prendrait le risque d'éloigner les justiciables de leurs juges nous informe notre quotidien. Chacun appréciera ici l’utilisation du déterminant « leur » qui suggère que le juge est au service du justiciable ordinaire. Il ne manquera pas non plus de considérer cette soi-disant proximité actuelle entre le juge et le jugeable (« le risque d’éloigner »). Plus loin, nous apprenons également bouche ouverte et bras ballants que c'est au tribunal d'instance que les citoyens les plus modestes et les justiciables les plus fragiles peuvent se présenter, expliquer leur cas oralement et faire trancher les petits litiges du quotidien (surendettement, crédits à la consommation, majeurs protégés, etc.), cela sans avoir recours à un avocat ou à un huissier, ni forcément maîtriser les subtilités de la langue française ou celles de l'informatique. Là encore, il est entendu que les tribunaux sont au service des plus modestes, des plus fragiles (euphémisme pour dire pauvres), que la présence  de ces derniers procède d’une demande (« peuvent se présenter ») et que le non recours à un avocat sans maitriser les subtilités de la langue française (ni du droit) est une faveur[2]. Il nous coute de continuer de commenter cet article car nous ignorons de notre côté le bénéfice qu'un lecteur normalement informé de la vie quotidienne peut tirer de cette chroniques, et c'est d'ailleurs le moindre de nos soucis. Passé un certain degré d’inconscience, les gens cessent de nous intéresser.

Il faut rappeler que pour les citoyens ordinaires la justice convoque, contraint, accuse et à la suite de la police toujours condamne.  Il n’est nullement question de faire valoir, même dans le cadre des litiges du quotidien où le journaliste semble cantonner les pauvres, quelque droit que ce soit. Au mieux, l’impécunieux sera autoriser à déposer une main courante sans lendemain au commissariat ; il aura aussi la possibilité de consulter un avocat débutant, gratuit et compatissant à la permanence juridique de son quartier. Il pourra faire un an d’hôpital sans que son agresseur soit le moins du monde inquiété (si on lui avait arraché la liquette peut-être n’aurait-on pas irrémédiablement perdu son dossier ?). Le « modeste » handicapé pourra être aussi assigné à résidence sans ascenseur pendant des mois, être à tort saisi par un huissier sans que son bailleur rende le moindre compte. Le « fragile » pourra enfin perdre sa jambe, ne plus pouvoir se servir de son bras à la suite d’erreurs médicales répétées sans que des sanctions soient prononcées à l’encontre des praticiens, etc.[3]. Justice nulle part vous dis-je !

[1] Nous organisons la semaine prochaine, en direction des détenus, un colloque à la prison de Fleury-Mérogis sur ces questions.  

[2] Voir aussi mon blog « Des larmes de crocodiles et des espérances de midinettes » https://blogs.mediapart.fr/christophe-prevost/blog/191217/des-larmes-de-crocodile-et-des-esperances-de-midinette

[3] Il s’agit là de cas concrets, récents qui concernent tous mon entourage proche.

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