Il est vrai que cette entame[1] est celle d’une défense en règle des thèses les plus frileuses, les plus conservatrices d’un Luc Ferry hérauts de la mondialisation libérale, complimenteur des grands patrons, génuflecteur transi de tous les pouvoirs[2]. Les critiques aigües envers « la pensée 68 », le refus du déclin et des lamentations, la défense des bienfaits des sciences et des techniques sont ici encore et encore convoqués par le péripatéticien des couloirs ministériels[3]. Le journaliste au « Figaro » ministre de l’éducation et le ministre de l’éducation journaliste au « Figaro » nous renvoie manu militari à la douce et moralisatrice sphère privée de l’amour-toujours. Ainsi Ferry affirme toute honte bue : « Pour l’essentiel, je dirais que la philosophie est avant tout une doctrine du salut avec toutefois cette particularité remarquable qu’elle est une doctrine du salut sans Dieu, une spiritualité laïque. » La philosophie donc, respectueuse du libre arbitre contre Spinoza, et du libéralisme économique devrait déboucher toujours, pour quelque mortel, sur une conception de la « vie bonne »[4]. Cette « vie bonne » du ministre de Jacques Chirac est, comme on le voit, une version intellectualisée des recettes douceâtres aujourd’hui vendues pour atteindre aisément le bonheur[5].
Nous pensons, avec Alain Badiou, que l’amour est menacé par cette philosophie du confort à la Ferry : la puissance de l’évènement incommensurable qu’il constitue est en effet niée à la fois par les tenants du marché libéral (pour lequel tout n’est qu’intérêt) et par ses opposants (pour lesquels l’amour n’est qu’hédonisme)[6]. Et plus que la soi-disant révolution nous plait l’éloge de l’amour.
[1] « Luc Ferry la révolution de l’amour » billet de blog de «Vivre est un village »
[2] Avec un souci de la comparaison intelligente et apaisée, l’ancien ministre Luc Ferry estimait, dans sa chronique hebdomadaire du Figaro, que le port du burkini vise à l’« islamisation de nos sociétés » et qu’il faut par conséquent « résister aux collabos de l’islamo-gauchisme », à leur « pacifisme munichois ».
[3] Luc Ferry se flattait d’avoir partagé un café-croissant avec le secrétaire général de l’Elysée, ministre des affaires étrangères : « J’avais un petit déjeuner avec Dominique de Villepin. Il voulait me voir seul... et devinez qui a passé la tête ? Chirac ! » Philippe Lançon, « Le philosophe du président », Libération, 3 mars 1997.
[4]La morgue aristocratique et le mépris du peuple de Luc Ferry sont bien connus. Il est vrai qu’il ne tient pas en haute estime le commun des mortels: « J’ai parfois le sentiment qu’il y a presque trop de programmes intéressants à la télévision » in « Le Monde-Télévision », 12 août 2002.
[5] La perversion des valeurs, qui transforme un fait divers, en événement de première importance, fait de « Loft Story » « une sorte de cours d’éducation amoureuse ». Luc Ferry In « Le Monde-Télévision », 12 août 2002.
[6] « Eloge de l’amour avec Nicolas Truong » Alain Badiou Flammarion 2009.