Thorstein Veblen « théorie de la classe de loisir »
introduction
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les communautés primitives sans classe oisive bien définie se ressemblent aussi par d'autres aspects de leur structure sociale et de leur genre de vie : groupe réduits à la structure simple (archaïque), paisibles et sédentaires, pauvres, la propriété individuelle n'est pas le caractère dominant de leur système économique. Dans cette classe entrent semble t-il les groupes primitifs les plus pacifique. En effet les membres de ces communautés ont surtout en commun une sorte de souriante incapacité face à la fraude ou à la violence.
Les usages, les traits culturels de ces communautés peu évoluées témoignent que l'institution d'une classe oisive s'est fait jour peu à peu, durant la transition de la sauvagerie primitive (vie pacifique) à la barbarie (vie guerrière).
Conditions qui paraissent nécessaires à son émergence : habitude de rapine (guerre ou chasse au gros gibier) et la subsistance doit être assurée dans des conditions assez faciles pour dispenser une partie importante de la communauté de s'appliquer régulièrement aux besognes courantes. (institution d'une classe oisive = discrimination primitive des travaux indignes (domestiques) et des travaux dignes (exploits)
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la distinction de l'exploit (force ou fraude) et de la besogne (industrie) coïncide avec la séparation des sexes.
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la compétition sexuelle provoque des luttes plus ou moins fréquentes. (depuis les singes)
mais l'apparition d'un esprit belliqueux, l'adoption d'une attitude prédatrice (rapace) comme attitude spirituelle permanente et orthodoxe caractérise la phase prédatrice de la civilisation.
La prédation ne saurait devenir d'emblée la ressource habituelle et normale d'un groupe ou d'une classe : il faut d'abord que les méthodes industrielles parviennent à un certain degré d'efficacité laissant ainsi au dessus de l'existence de ceux qui s'occupent du pain quotidien une marge qui vaille qu'on se batte pour elle.
Les premières améliorations de l'outil et de l'arme sont bien entendu un seul et même fait vu sous deux angles différents.
La rivalité pécuniaire
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dans le cours de l'évolution culturelle, l'émergence d'un classe oisive coïncide avec les débuts de la propriété.
La différenciation initiale d'où naît la distinction d'une classe oisive et d'une classe travailleuse c'est la division entretenue aux stades inférieurs de la barbarie entre le travail des hommes et celui des femmes. De même la toute première forme de la propriété c'est la possession des femmes par les hommes valides.
Le loisir ostentatoire
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on estime à haut prix femmes et autres esclaves, à la fois signes de richesse et moyens de l'accumuler.
Cette femme sera toujours la chose de son mari comme elle est la chose de son père avant qu'on ne l'achète, mais il n'empêche qu'elle a le sang noble de son père ; il y a donc pour elle une incongruité morale à s'adonner aux besognes avilissantes de ses compagnes de service.
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le code des convenances fait à ces personnes une obligation rigoureuse de bien manifester qu'ils sont censés consacrer tout leur temps et leur effort au loisir. Ce loisir ostensible est fait de visites promenades séances au cercle réunions de couture réunions sportives œuvres charitables et autres fonctions sociales du même ordre. D'où la nécessité des esclaves domestiques.
La consommation ostentatoire
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dans les phases antérieures de la culture prédatrice, la seule différenciation économique est la distinction grossière d'une classe supérieure et honorable, composée des hommes valides, et d'une classe inférieure et vile composée des femmes travailleuses. Selon le mode de vie idéale de cet âge, les hommes ont pour fonction de consommer ce que les femmes produisent.
Le consommation des aliments de choix, souvent aussi l'usage des ornements rares, deviennent tabou pour les femmes et les enfants.
Quand on en arrive au stade quasi pacifique de l'industrie, à son institution fondamentale de la propriété esclavagiste, le principe général plus ou moins rigoureusement appliqué est que la classe vile et industrieuse doit consommer ce qui lui est nécessaire pour subsister.
Vu l'ordre des choses luxe et confort appartiennent à la classe de loisir. (exemple boissons enivrantes et narcotique)
de flatteuse la distinction se fait humiliante et alourdit la réprobation quand cet abandon aux plaisirs est le fait des femmes, des mineurs, des gens de condition inférieure.
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mettre en relief sa consommation d'articles de prix c'est une méthode d'honorabilité pour l'homme de loisir. A mesure que la richesse s'accumule dans ses mains il ne suffira plus de ses seuls efforts pour étaler son opulence. Il lui faut appeler à l'aide amis et concurrents offrir des cadeaux précieux donner à grands frais festins et divertissements.
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une différenciation au sein de la classe oisive s'opère avec l'accumulation de richesses donnant naissance à un système compliqué de rangs et de grades.
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Parmi les patron et dans l'aristocratie nombreux sont ceux qui attachent à leur personnes un groupe plus ou moins complet de consommateurs délégués, épouses, enfants, serviteurs et suivants.(comme des nobles désargentés).
Quand le loisir et la consommation sont le fait de substituts séides et suivants la réputation n'en rejaillit sur le patron que s'ils résident auprès de sa personne et laissent clairement voir à quelle source ils s'abreuvent.
A mesure qu'un groupe de ce genre s'agrandit il faut recourir à des moyens plus voyants pour désigner à tous les regards l'auteur de ce loisir : entrent en vogue uniformes, insignes et livrées. (marque de servitude et de dépendance)
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sont nobles parmi les activités les fonctions qui appartiennent à la classe de loisir : le gouvernement, la chasse, la pêche, la guerre, l'entretien des armes et accoutrements (fonction prédatrice).
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dans la petite bourgeoisie le maître de maison ne prétend guère au loisir. C'est l'épouse qui se charge du loisir par procuration (ni lucratif ni utile) pour le bon renom de la maison et du maître.
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cet aperçu de l'origine du loisir et de la consommation ostentatoire fait apparaître un élément qui leur est commun et fonde pareillement leur utilité : le gaspillage. (du temps ou de l'effort ou des biens)
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la tendance actuelle valorise la consommation plutôt que le loisir plus facile à afficher.
Les règles pécuniaires du bon goût
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la règle du gaspillage honorifique peut influencer de près ou de loin le sens du devoir, le sentiment de la beauté, le sens de l'utilité, le sens de la dévotion et de la convenance rituelle, et l'esprit de vérité scientifique.
Il est notoire que l'offenseur quand son crime lui vaut un grand surcroît de richesse, ne s'attire pas souvent la punition rigoureuse ou l'infinie opprobre que le simple code moral lui infligerait dans sa naïveté.
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a propos de la religion
ses serviteurs à la lettre ne servent à rien et leur maître se glorifie d'avoir des serviteurs inutiles. On perçoit immédiatement l'étroite analogie de la fonction de prêtre et de celle du valet de pied.
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Quand on vient à dépeindre le séjour de la divinité en images poétiques, pour édifier les fidèles ou stimuler leur imagination, le pieux descripteur propose à son public, comme une vision toute naturelle un trône décoré de tous les signes distinctifs de l'opulence et de la puissance et environné de nombreux serviteurs. Dans cette façon de présenter les célestes demeures, l'office de cette armée de serviteurs est ordinairement le loisir par délégation ; ils consacrent tout leur temps et toutes leurs forces à cette occupation industriellement improductive : répéter sans cesse les traits de mérite et les exploits de la divinité ; à l'arrière-plan chatoient les métaux les plus précieux et les pierreries les plus coûteuses.
L'habillement, expression de la culture pécuniaire
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le besoin de s'habiller est par excellence un besoin supérieur, un besoin spirituel.
Il s'agit d'obéir aux exigences de cherté, car elles imprègnent si bien nos idées en matière d'habillement que d'instinct nous trouvons tout accoutrement odieux qui n'a pas coûté un bon prix.
Nous trouvons souvent les choses belles ou utiles en proportion de leur prix.
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si l'on peut montrer, non seulement que l'on peut se permettre de consommer à volonté et sans compter, mais en outre et du même coup que l'on a pas besoin de travailler pour vivre, on administre une preuve beaucoup plus convaincante de sa dignité sociale. Aussi nos vêtements ne doivent-ils pas se borner à coûter cher, mais exposer clairement à tout observateur que nous n'employons nullement nos bras à produire quoi que ce soit. (voir les corsets au 19ème siècle, les mini-jupe et les chaussures à talon des femmes, ou les costumes trois pièces des hommes)
la tenue élégante signifie que le porteur peut consommer une richesse relativement élevée , mais elle démontre en même temps qu'il la consomme sans produire.
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ce n'est pas assez que l'habillement coûte visiblement cher et soit visiblement mal commode : il doit encore être au goût du jour.
La mode : du moment que chaque vêtement est toléré pour un bref espace de temps, il est hors de doute que la dépense ostensible augmente fortement.
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la sphère de la femme respectable c'est son intérieur qu'elle embellit et dont elle est le plus précieux ornement.
On n'a pas seulement demandé aux femmes de briller par leur loisir , mais aussi de se rendre carrément invalides.
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il est au moins une classe de personnes que leur habit assimile à la classe des domestiques ; cet habit comporte d'ailleurs bien des détails qui donnent sa féminité à la toilette féminine : il s 'agit de la classe sacerdotale. Le prêtre est un serviteur. Il est attaché à la personne de la divinité dont il porte la livrée.
L'exemption de l'industrie et le conservatisme
P 130
la classe de loisir c'est la classe conservatrice. La classe fortunée s'oppose à l'innovation parce qu'elle est intéressée à maintenir des droits acquis et mal acquis.
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les usages, les gestes et opinions de la classe riche et oisive prennent le caractère d'un code établi, qui dicte sa conduite au reste de la société.
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l'accumulation des richesses à l'extrémité supérieure de l'échelle sociale implique la privation à l'extrémité inférieure. Ce qui fait obstacle à toute innovation et rend les pauvres plus conservateurs.
P 138
la structure pécuniaire des institutions a une utilité immédiate, et les améliorations qu'elle reçoit vont dans le même sens : faciliter une exploitation pacifique et sans désordre.
La conservation des traits archaïques
P 154
au début du stade barbare, c'est à dire au stade prédateur proprement dit, l'aptitude se jugeait tout naïvement sur la prouesse. Pour être digne d'entrer dans la classe le candidat devait posséder plusieurs dons : le dévouement exclusif au clan, l'aspect imposant, la férocité, le mépris des scrupules, l'acharnement.
Survivances modernes de la prouesse
P 161
la classe de loisir ne vit pas dans, mais plutôt de la classe industrielle.
P 162
aux yeux de la plupart des hommes, la prouesse guerrière est hautement honorifique. On la retrouve dans le patriotisme de la classe pécuniaire.
en outre l'activité prétendument sérieuse de la classe supérieure est le gouvernement (encore une activité prédatrice).
La seule classe qui pourrait vraiment disputer à la classe oisive héréditaire l'honneur d'entretenir un état d'esprit belliqueux c'est celle des délinquants de bas étage.
L'homme ordinaire se battra plutôt quand il sera dans un état d'irritation excessive et passagère.
P167
on s'adonne aux sports quand on est d'une constitution spirituelle archaïque autrement dit quand on éprouve un irrésistible penchant pour la rivalité et la quête de proie.
Ainsi on voit de nombreux membres du clergé et autres piliers de la société accorder sollicitude et patronage à des brigades de jeunes gens et à des organisations pseudo militaires. (cf le scoutisme 1909)
la foi en la chance
P 182
si la foi en la chance est le fondement du jeu ce n'est pas le seul élément qui entre dans le pari.
P 183
Le sportif croit en la chance et à l'heureux hasard ou à la nécessité imprévue : c'est de l'animisme rudimentaire.
P 190
Le sentiment de rang social est plus faible dans les sociétés pacifiques.
La culture barbare comporte l'esprit sportif le rang et l'anthropomorphisme.
Les pratiques de dévotion
P 193
on peut constater qu'un rapport organique unit les cultes anthropomorphiques à la culture barbare.
P 196
il existe une relation entre le tempérament sportif et le tempérament des classes délinquantes ; l'un et l'autre s'apparentent au tempérament qui incline vers le culte anthropomorphique.
P 198
un croyant c'est par excellence une personne qui sait obéir et recevoir le châtiment sans rechigner.
P 199
La norme qui anime tout le genre de vie de la communauté rapace est le rapport de supérieur à inférieur, de noble à vilain, de dominateur à subordonné, de classe dominante à classe servile, de maître à esclave.
P 202
tout culte exige une consommation sans but matériel immédiat : ornements cérémoniels, autels, temples, églises, vêtements, sacrifices, sacrements, habits de fête...(gaspillage ostentatoire) de même pour le service personnel consommé.
P 206
le prêtre ne doit pas mettre la main à un travail mécanique et productif ; en revanche il doit consommer en quantité à la gloire du maître (dieu).
P 210
le principe de rang anime tout le système hiérarchique le visible et l'invisible. (anges, saints, …)
P 211
dans les vieilles sociétés européennes la classe de loisir héréditaire imitée en cela par la masse indigente s'adonne aux pratiques de dévotion beaucoup plus que ne le fait en moyenne la bourgeoisie industrieuse.
P 214
une différenciation sexuelle tend à déléguer aux femmes et aux enfants la pratique religieuse.
P 216
Le sens de l'honneur est une expression de l'esprit sportif et un dérivé de la vie rapace.
Survivance de l'intérêt sans jalousie
P 220
La contrainte des nécessités économiques et le déclin du système hiérarchique finissent par provoquer la désagrégation du culte anthropomorphique et de son code d’observances rituelles. (la charité et la confraternité ou esprit de société ou encore sentiment de la solidarité) note du rapporteur : voir les franciscains.
Les études supérieures expression de la culture pécuniaire
P 242
La classe de loisir compte aujourd’hui un nombre disproportionné d’adeptes des sciences occultes de toutes variétés et de toutes nuances. (connaissance de l’inconnaissable)
Ainsi donc les études ont commencé par être un produit dérivé de la classe des prêtres, cette classe de loisir délégataire ; et tout au moins jusqu’à une époque récente les études supérieures sont demeurées en quelque sorte un dérivé ou une profession auxiliaire des classes sacerdotales.
P 247
L’accoutumance à la guerre installe des façons de penser rapaces ; partant l’esprit de clan remplace peu ou prou le sens de la solidarité, et le sens de la distinction provocante supplante l’élan vers la simple, équitable et quotidienne utilité.
P 249
Jusqu’à une époque récente les études supérieures et les professions savantes étaient tabou pour les femmes. Depuis les origines, ces activités étaient réservées aux classes sacerdotale et oisive.
P 254
La fonction gouvernementale est une fonction prédatrice et consiste à exercer l’autorité et la contrainte sur la population dont la classe de loisir tire sa subsistance. (discipline du droit des sciences politiques ou des sciences administratives…)
Tout ceci demeure vrai pour autant et aussi longtemps que la fonction gouvernementale continue d’être par sa forme et dans sa réalité une fonction de propriétaire.
NOTE DU RAPPORTEUR
Veblen a écrit cet ouvrage en 1894 donc avant l’apparition de l’automobile, symbole le plus emblématique du potlatch.
Il convient de souligner que la première propriété a été la femme. C’est là que l’on voit apparaître la première notion de lutte et de potlatch.
Le chef et ses acolytes vivent dans le potlatch c’est-à-dire le beau, l’exceptionnel, le raffiné, le cher, l’oisif, le luxe, la pureté, le supérieur. Le corolaire de cela dans sa dimension psychologique étant la recherche de ces critères dans toutes les sphères de la vie et donc y compris en matière de sexualité d’où la pédophilie extrême, la petite fille ou le petit garçon en bas âge étant le symbole de la pureté que l’on peut salir et souiller parce que l’on fait partie de la classe dominante.
On notera également que cette recherche de la pureté s’accompagne de la recherche de son contraire : la saleté la souillure le malpropre le vulgaire le sordide le hors la loi est souvent cette recherche se fait par procuration. Ainsi par extension avec les textes de la bible le pauvre vivra en enfer et le dominant vivra au paradis. La classe dominante applique à la lettre les textes de la bible dans la vie terrestre. Ainsi le pauvre, les indigents, les gueux seront la cible privilégiée de la classe dominante tant pour bafouer leur honneur que pour leur faire vivre les pires atrocités. Les prostitués de bas étages sont toujours issus des classes populaires. Les petites filles que l’on va déflorer sont généralement pauvres sauf pour Sade qui avait un idéal de pureté jusqu’au-boutiste puisque que ces victimes étaient de sang noble. Aujourd’hui la pureté et la saleté se mêle dans la recherche de petites filles pauvres issus de pays en voies de développement comme le cambodge.
On peut le voir il s’agit d’une extension du potlatch à la vie sexuelle et par extension à la vie humaine car il s’agit là d’un gaspillage de vie humaine. Combien d’enfants abusés se prostitueront ou deviendront délinquants voir fous.
La loi est la domination du vainqueur imposée aux vaincus.
La morale, la norme fixe normalement la loi. Mais vivre au dessus du commun c’est vivre au dessus des lois car elles ne s’appliquent pas complètement au législateur et à la classe oisive et par extension à l’armée, à la police et au corps sacerdotale.
On notera dans un autre domaine, qu’il y a une coïncidence entre l’apparition du marxisme, et l’apparition du syndicalisme d’une part, et l’essor du féminisme d’olympe de gouge d’autre part au 19ème siècle.
Dans le domaine du potlatch toujours mais en matière de moyen de transport.
On observera la prédominance du carrosse de la classe oisive ou du char grecque de la classe guerrière (la voiture) dans le choix de nos contemporains pour se déplacer, au détriment du destrier, du palefroi du mulet ou de l’âne. (la moto de grosse cylindrée, le vélo, le cyclomoteur, le scooter ou le 125). Pourtant au niveau sécurité il n’y a pas plus de risque à rouler en deux roues qu’en 4 roues. Que l’on regarde les motards de la police. Ils ne sont pas plus victime de mortalité que leurs collègues en voiture ou en fourgon. Tout n’est qu’une question de bon sens mais en la matière le potlatch est irraisonné.
On observera que la charrue (fourgon, utilitaire, poids lourd et pickup intermédiaire entre la charrue et le carrosse) s’est peu à peu intégrée au mode de consommation de la classe oisive par son détournement en camping-car. (potlatch)
Signé : les hystériques ont les lèvres en feu