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Billet de blog 10 mars 2023

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Entretien avec Maxime Martinot, réalisateur du « Film que vous allez voir »

Après Histoire de la révolution (2019), une réflexion sur le double sens du mot «révolution», et Les Antilopes (2020), composé d'images d’archives filmées par drones, Maxime Martinot présente à Cinéma du réel son dernier film. Constitué de cartons introductifs et d'images extraites de films, cet essai nous invite à relire l'histoire du cinéma sous l'angle de la censure et du formatage.

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Dans Histoire de la révolution, vous vous intéressiez aux images de révoltes dans l'histoire visuelle. Le film que vous allez voir semble adopter un point de vue historique, traversant l'histoire du cinéma. Pourquoi un tel film ?

Maxime Martinot : Je n'avais pas pensé à cette liaison. J'imagine que la question de l'histoire du cinéma m'intéresse beaucoup. Dans Histoire de la révolution, c'est davantage une histoire de l’usage des images, des récits par les images – provenant du cinéma ou d'autres sources de captation et de diffusion d'images, comme celles de GoPro dans des manifestations, des images de la police... J’ai continué cela dans les Antilopes (2020).

Dans Le film que vous allez voir il y a davantage une prise en charge de l'histoire du cinéma en tant que tel – tandis que Histoire de la révolution est une réflexion sur différents types d’archives, liée à une volonté de faire feu de tout bois avec les images qui ont trait à l’idée ou la forme révolutionnaire. Le film que vous allez voir se réduit à une histoire du cinéma par le formatage, la censure. C’est une histoire du cinéma à travers le vocabulaire que l'on pourrait dire semi-juridique, souvent proposé par la production ou la distribution, et qui ouvre de nombreux films.

Les « avertissements » au spectateur qui composent votre film semblent presque faux, tant ils sont répétitifs et risibles. Le film que vous allez voir montrerait ainsi la part « sombre » de l’histoire du cinéma, celle de la censure ?

Je n'ai rien inventé. Il y a la marque de la censure et des clichés venant d’un « contrôle des mœurs », certes. Mais je préfère parler de formatage : il y a certes quelques véritables faits de censure évoqués dans le film (autour d'Un chant d'amour de Jean Genet, interdit en 1966 en Californie, ou La Chasse de Manoel de Oliveira, dont un carton annonce la fin heureuse imposée par la censure, qui change complètement le sens du film), mais il y a aussi la question de ce que devrait être ou non un film, les annonces prévenant de la violence de certaines images, les phrases implacables qui assurent que « tout est vrai ». Ou à l'inverse les cartons qui disent « toute ressemblance avec la réalité est purement fortuite » : c'est une histoire très occidentale qui a à voir avec les poursuites encourues contre certains studios américains dans les années 1930 pour des films jugés scandaleux par les personnes dont la vie a été mise en fiction.

Pour s'en prémunir, il y a eu ces cartons que tout le monde connaît aujourd'hui. C'est un siècle d'histoire. Mais dans cette histoire du formatage comme celle de la censure, comme on peut le voir dans le film, c'est toujours le même vocable qui revient, à quelques mots près. Le titre du film, Le film que vous allez voir, en est tiré, avec toute son ambivalence : c'est une annonce spectaculaire, tout en étant une mise en garde. La Religieuse de Jacques Rivette contient par exemple ce carton terrible, signé par Jean d'Ormesson (alors membre de la commission de contrôle) pour nous dire qu'il faut absolument « se prémunir » de penser que le film ou le texte original de Diderot seraient une représentation fidèle de l'Église du XVIIIe siècle ou d’aujourd’hui.

Après Histoire de la révolution, qui est en quelque sorte un film sur la circularité des images, Le film que vous allez voir est tout entier linéaire : il annonce quelque chose, et retrace une partie de l’histoire du cinéma. Aviez-vous justement envie de faire un film plus simple, sans trop de ruptures et discontinuités, avec un amoindrissement des moyens (les cartons) ?

Le film est simple dans la manière dont il est fait, même si les recherches ont été longues. Je ne pouvais pas faire une histoire de tous les cartons, j'ai dû faire une sélection. J'aurais aimé aller chercher dans des cinématographies non occidentales, que je connais moins. L'idée de base du film est déjà limitée à une seule matière : les cartons, ou plus largement la parole qui précède ou encadre un film.

En répétant cette formule, « le film que vous allez voir », je voulais, à partir d'un vocabulaire répressif, créer un texte qui subvertisse cette parole formatant l'expérience du spectateur. Les images se sont ensuite invitées, pour des raisons de rythme, mais aussi pour authentifier ces textes, qui peuvent parfois paraître des blagues, mais qui sont de véritables archives.

N'est-ce pas aussi une manière pour vous de vous prémunir de tout ce formatage ? De détourner toute la censure potentielle qui pèse sur cette histoire du cinéma ?

Le film n’a pas cette ambition, impossible à réaliser. C'est plutôt un jeu : on peut faire quelque chose de ces cartons. D’abord tenter de les comprendre, décrire leur évolution en pointant leur répétitivité ; ensuite les pervertir de leur sens premier. L'histoire du cinéma nous apprend d'ailleurs que la plupart de ces cartons provoquaient l'effet inverse de ceux escomptés : ils faisaient surtout de la publicité pour les films qu’ils prétendaient contrôler ! C’est un bel exemple du paradoxe de l'interdit : l'interdit crée du désir.

Ce paradoxe peut venir d’un ensemble extérieur, comme il peut venir de nous-mêmes. Nous spectateurs créons aussi nos propres barrières et nos propres échappées : on sait qu’on veut voir telle chose ou pas. Alors, quelle est la place du regard critique, et à quel point il peut se créer, ou se dissoudre, dans cette projection paradoxale dans le cinéma ?

Les films dont les images sont tirées sont en général assez connus. Les plans que vous avez choisis ne sont pour autant pas très reconnaissables. Pourquoi ce choix de prendre l'inconnu dans le connu ?

Oui c'est vrai. Il y a dans le film une attention au gros plan, au détail. Comme ce sont des fragments tirés de films, un écho formel se crée en choisissant de montrer des fragments de corps, de peaux, d’yeux ou de mains. Cette fragmentation permet surtout d’échapper à une narrativité fictionnelle, et d’amplifier ainsi l’objectivité de l’acte de monter et montrer des archives. Un plan d’un film de fiction, avec le recul du temps et l’effet de déracinement, a alors valeur documentaire.

D’un côté il y a le corps, le petit, mais il y a aussi les étoiles, l’immensité. Le film commence et se finit sur l'image de la planète Vénus, filmée au XIXe siècle (la première série d'images en mouvement faites en 1874 par Jules Janssen) jusqu'à une image de synthèse tirée d'un blockbuster récent. On est aussi passé par le Voyage dans la Lune de Méliès, un film de Lumière dans la Tour Eiffel... Cela pour représenter ce désir de l'humanité de comprendre le ciel et la volonté d'y accéder, volonté qui n’a absolument pas changé depuis. Le ciel et la peau : cela a à voir avec le désir scopique, mais c'est aussi une manière de faire raccorder ce qui sépare les yeux et les mains, ces deux organes qui reçoivent et projettent dans le même temps. Je voulais ainsi « érotiser » des images entre elles, et créer des jeux de rappel dans le film, tout en les mettant en dialogue avec cette terrible parole écrite qui semble vouloir contrôler leur cours.

Propos recueillis par Auguste Schuliar.

Film projeté les Mardi 28 mars à 20h45 au Forum des images et le Vendredi 31 mars à 14h au Centre Pompidou.

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