Il y a un an, nous annulions les séances publiques de la 42e édition de Cinéma du réel au lendemain de son ouverture. L’équipe du festival, malgré la fatigue, malgré la déception, malgré l’ambiance générale a su se remobiliser instantanément pour permettre la mise en ligne des films de la compétition. Ainsi grâce à cette équipe, grâce aussi à la réactivité généreuse de nos partenaires Tënk, festival scope et Universciné quelque chose de cette 42e édition a pu exister. Qu’il en soient ici tous remerciés.
Une année est passée désormais. Jamais autant que cette fois n’aura été éprouvé par ceux qui le fabriquent l’idée qu’un festival porte la trace de ce qui nous anime à un moment, et est la caisse de résonance de l’air du temps dans lequel nous sommes plongés. La préparation de cette édition 2021 du festival, la programmation qui a été conçue pour cette nouvelle édition, la forme dématérialisée que nous proposons aujourd’hui à notre public ont été déterminées par la situation de crise que nous continuons de vivre.
Pour ce qui est de la programmation tout d’abord nous avons choisi de faire une proposition ramassée autour de quelques fondamentaux qui font l’ADN du festival et en premier lieu sa compétition.
41 films, 21 films étrangers tous inédits en France et 20 films français en première mondiale, c’est-à-dire qui débutent leur carrière en festival à Cinéma du réel. L’ensemble de ces films seront programmés deux fois pendant toute la durée du festival sur notre plate-forme dédiée CANALRÉEL. Mais ils seront également montrés sur grand écran au Centre Pompidou aux jurys chargés de décerner les prix lors du palmarès, palmarès qui sera diffusé le 21 mars prochain.
A côté de cette compétition qui se veut exploratoire du champ documentaire , la programmation Front(s) Populaire(s) interroge : « A quoi servent les citoyens ? ».
En effet, dans un moment où force est de constater que notre liberté et notre libre arbitre sont restreints sous prétexte de nous adapter aux exigences de la crise sanitaire, il nous a semblé opportun de rendre compte de modes d’actions directes qui permettent d’infléchir les conséquences des décisions prises par d’autres et par là de nous interroger sur notre rôle de citoyen. Il nous semble que le festival doit avoir sa place dans les débats de société qui nous animent et cette programmation Front(s) Populaire (s) est un des lieux de ce débat qui nous amènera aussi cette année à nous pencher sur la loi sécurité globale avec les associations de cinéastes qui font partie de la coordination contre cette loi.
Les œuvres présentées lors de cette 43e édition de Cinéma du réel affirment la spécificité de la pratique cinématographique et son rôle dans la représentation, la révélation, la compréhension et l’interprétation de notre monde. Par le cinéma, il ne s’agit pas de réinventer un monde qui nous éloigne de la réalité en réduisant le réel à un effet optique, mais d’en proposer ses propres images, qui différentes pour chacun, rendent possible de nouveaux récits et ouvrent alors le territoire de l’imagination pour le spectateur.
A côté des œuvres inédites sélectionnées cette année, l’intégrale Pierre Creton est l’exploration d’un territoire cinématographique qui s’élargit en cercles concentriques depuis un point fixe que serait la maison de Vattetot où vit, travaille et filme le cinéaste.
Pierre Creton, depuis le début des années 90, consacre son temps au cinéma et à l’agriculture. L’un n’allant pas sans l’autre. Habiter, cultiver, pratiquer, entretenir c’est ainsi que se passe la vie et se construisent les films de Pierre. C’est entre vivre et faire que se tisse son œuvre. La culture en latin désigne tout d’abord l’agriculture, la culture de la terre, mais elle devient très vite (avec Ciceron) la culture de l’esprit. Si cultiver consiste à faire venir et laisser croître alors c’est autant le travail du paysan que celui de l’artiste. En regard au cinéma de Pierre Creton nous avons voulu réunir d’autres figures de cinéastes qui ont choisi de tenir dans un même geste les travaux des champs et le cinéma, les deux comme une même occupation et le jardin comme le lieu où s’articule la vie à la pratique de cinéaste. Avec l'intégrale Pierre Creton, cette programmation « cinéaste en son jardin » est comme une invitation au déconfinement et au couvre feu buissonnier.
Festival exploratoire, Cinéma du réel s’interroge sur ce qu’il en est du documentaire. La question de Qu’est-ce que le documentaire ? est à l’origine du Festival parlé qui tente de définir au-delà du cinéma lui-même moins un genre, qu’une pratique, et peut-être même une manière d’être autant qu’une manière de faire. Cette année le Festival parlé, consacré aux affinités et aux filiations entre documentaire et littérature, invite quatre cinéastes Mariana Otero, Marie Dumora, Eric Baudelaire et Régis Sauder à mettre leur travail en résonnance avec quatre écrivains Maelys de Kerangal, Jean Christophe Bailly, Yves Jablonka et Pierre Bergounioux.
Cette question – qu’est-ce que le documentaire ? Nous la posons aussi aux jeunes gens qui font leur premiers pas cinématographiques en choisissant le geste documentaire et que l’on peut découvrir dans la sélection Première Fenêtre. Les films de cette section sont à retrouver également sur Médiapart. Il sera alors possible de voter pour son film préféré. Un prix du public sera remis à la fin du festival au film ayant obtenu le plus de voix, film qui sera récompensé par un achat de droits par le CNC pour catalogue « Image de la culture », et pourra ainsi trouver de nouvelles possibilités de diffusion.
Se poser la question du documentaire c’est aussi aborder les conditions de son existence tant du côté de la production que de la diffusion.
Et cette année bien sûr s’interroger sur son devenir à partir des incidences que la crise sanitaire ont sur le secteur du cinéma, non seulement à cause de la fermeture des salles qui se prolonge cruellement, mais aussi de l’importance qu’ont prises de manière accélérée les plates formes de programmation et de visionnement en ligne.
En effet la pandémie a été une rampe de d’accélération pour les plateformes et toutes les initiatives de mise en ligne des films qui de Netflix à Tënk avaient vu le jour ces dernières années. La plupart de nos débats - du Forum public proposé par l’association des Amis du Cinéma du réel jusqu’à la discussion que nous initierons avec l’appel des 85, collectif des éditeurs vidéo qui s’est formée au printemps, ou la matinée des idées consacrée aux nouveaux corpus d’images créées par et pour internet - interrogent les bouleversements que ce nouvel acteur a provoqué pour notre milieu. A quoi assistons-nous ? A un temps d’expérimentation plus ou moins sauvage qui réinterroge les processus de travail des différents acteurs professionnels, les rapports de pouvoir et la relation au public ? Est-ce une période d’exception ou l’occasion de proposer de nouveaux cadres, de repenser les manières de faire et d’inventer une nouvelle écologie du secteur ?
Mais nous le savons aussi, la culture n’est pas qu’un secteur, c’est un bien commun qui nous modèle, qui imprègne notre mode de vie.
Le cinéma non plus n’est pas qu’un secteur c’est aussi un bien commun, et pour les spectateurs aussi c’est une pratique, c’est une expérience.
Nous savons bien que sans le rassemblement des corps quelque chose manque, nous le savons très douloureusement.
Néanmoins, puisque l’autorisation de la réouverture des salles ne vient toujours pas, nous avons cherché à créer les conditions d’une expérience qui serait proche de celle du spectateur de festival. Chaque jour proposer, à heures fixes, une offre multiple de films et de discussions. Une invitation à s'immerger dans le festival mais aussi suggérer un parcours et la sensation d’être en compagnie !
Ce qui fait un festival c’est à la fois la fabrication d’une programmation et la fabrication d’un public qui sur la durée de la manifestation se construit, prend du plaisir, fait corps. En proposant à tous de regarder les mêmes films au même moment, nous voulons non seulement créer l’événement mais aussi qu’un lien flottant réunisse entre eux les spectateurs de Cinéma du réel et que s’établisse, pourquoi pas, une certaine communion.
Catherine Bizern, déléguée générale de Cinéma du réel