« J'ai commencé à faire des entretiens préparatoires au film en 2015 avec des inculpés de l’affaire, profondément marquée et choquée par les mensonges qui ont été propagés au sujet de cette histoire. On disait d’eux qu’ils étaient des terroristes, qu’ils voulaient tuer des gens, et qu’ils n’avaient pas de téléphone portable... On a fait d’eux des clichés. J’avais comme volonté de montrer que le terrorisme est une catégorie fourre-tout, qui permet souvent d’arrêter des personnes avant qu'elles ne fassent quoi que ce soit. Le problème c'est que ce type de procès d'intention s'attaque à des modes de vie : il fallait répondre à cette propagation de caricatures dangereuses.
J'ai d’abord passé beaucoup de temps à réfléchir : quel serait le bon axe ? La bonne forme ? Le bon dispositif ? J'avais besoin d’assumer l'endroit depuis lequel j’allais filmer, pour permettre au spectateur de regarder les choses sans qu'elles ne lui soient imposées, de comprendre qui lui parlerait et d'où. Je ne voulais pas d’un point de vue surplombant, mais au contraire affirmer ma subjectivité. C'est l'annonce du procès qui a enclenché les choses. Même s’il y avait tous les éléments nécessaires pour un non-lieu, personne n'était sûr de la relaxe. Il était important de se préparer au procès et à la comparution : le film est donc devenu le témoignage de cette préparation. Tout comme je montre parfois les coulisses de la préparation d'un concert, j’ai voulu filmer les coulisses de la justice, comme un spectacle avec sa scène et ses répétitions. C'est pour ça que le film ne s’intéresse pas à ce qui va se passer ensuite dans la salle d’audience.
J’ai choisi de suivre ceux qui m’étaient le plus proches et qui avaient le plus envie de donner de leur personne pour témoigner. La vie des accusés ayant été scrutée par la police pendant les huit ans de procédure, il faut imaginer qu’une caméra qui s’introduit dans leur vie pour filmer ces préparatifs nécessitait beaucoup de confiance de leur part. Le choix du personnage de Manon s’est fait naturellement : c’est ma belle-sœur, et en tant que second rôle de l'affaire elle n'avait pas été médiatisée. En temps normal, elle n'aurait jamais laissé quiconque la filmer — surtout dans cette position d'extrême fragilité. Mais son engagement politique est quelque chose de plus grand, qui l’a poussée à transmettre ce qu'elle a vécu pour que d'autres puissent s'en servir plus tard.
La caméra les a aidés à se défendre, elle a permis de matérialiser la scène : ce moment de l'audience où l’on se rend à la barre et où tout le monde vous écoute. C'est ce que j'ai essayé de reproduire avec l’idée d’un faux procès. J'ai proposé aux trois inculpés présents dans le film de se réunir deux semaines avant le procès dans un lieu neutre, avec des faux juges, parmi lesquels la juge principale qu’ils ne connaissaient pas. L’idée était de pouvoir se projeter : savoir quelle défense et attitude adopter au moment du procès. Bien que le lieu ne ressemble pas à un tribunal, la caméra nous a permis d’instaurer une ambiance et de capter l’attention de tout le monde. Par la suite, les accusés ont pu revoir leurs prestations et leurs attitudes pour les corriger s’ils le souhaitaient.
Le film est volontairement morcelé, avec des temporalités et des registres d'images différents. Cette juxtaposition de registres d'images, c'est une façon de montrer qu'il y a des angles morts — c'est-à-dire que le film n'est pas omniscient sur l'affaire, ni sur l’ensemble des personnages. D’un point de vue dramaturgique, c’est toujours bien de commencer un film le plus tard possible, pour que l'action soit concentrée. Mais dans ce compte à rebours de quelques mois, je voulais que la durée des dix ans de l'affaire soit présente, pour qu'on comprenne qu'il y a derrière quelque chose de plus grand, qui n'est pas montré : le poids des années, une bataille technique, juridique et collective de longue haleine, dont le film ne retrace pas tous les détails mais qui apparaît en creux.
Mon souhait est que ce film soit vu par le plus grand nombre, parce que je pense que cette affaire n'est pas une simple affaire juridique et médiatique. Il montre comment fonctionnent la police et la justice vis-à-vis des opposants politiques, et le fait que ces institutions s'en prennent à des gens qui tentent de vivre autrement. 
J'ai aussi pensé ce film comme une arme pour tous ceux qui, dans le futur, auront besoin de se défendre. Savoir quelles sont les possibilités qui s'offrent à vous quand, pour X raisons, on est accusé à tort et que l'on se sent seul. J'avais envie de montrer très concrètement ce que c'est que se défendre et l'importance de l’entourage, du lien, des groupes de soutien, de discussions, de travail, lorsqu’on fait face à la justice. Je ne cherche pas à faire du prosélytisme, à convaincre sur des idées ou à innocenter les inculpés — selon moi, ce n’est pas le lieu du cinéma — mais à filmer le travail, permettre de partager des expérimentations collectives car il y a là une forme d'innovation et de joie de la découverte. Le groupe de défense de Manon, c'est quelque chose que j'ai découvert en faisant le film ; c’est la puissance de ce groupe que je tenais à montrer. Ce n’est pas juste un groupe de copines, mais de personnes qui prennent la décision de s'investir et de travailler pour venir en aide à quelqu'un.
Le festival du réel est un festival que j'estime énormément et je suis honorée que mon film en fasse partie. À chaque fois que j’y suis allée, j'ai découvert des films géniaux. C'est un festival à défendre. »
Propos recueillis par Pablo Têtedoie, Claire Vernhet