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Billet de blog 11 mars 2022

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Entretien avec Érik Bullot, réalisateur de Langue des oiseaux

Un documentaire hybride où art et science se croisent poétiquement pour questionner la langue et ses doubles.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Avant même de regarder le film, je me suis attardée sur la formulation du titre : pourquoi Langue des oiseaux et non pas langage ? Aviez-vous l’intention d’humaniser ces animaux aux yeux du spectateur ?

Il y a deux raisons à ce titre. On explique communément le chant des oiseaux par des fonctions biologiques : la reproduction et la délimitation du territoire. J’ai voulu inquiéter cette interprétation en m’interrogeant sur la fonction esthétique de leur chant. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi l’expression langue des oiseaux qui suppose un ensemble structuré de règles et un apprentissage social. Ce passage du langage à la langue me permet de souligner que le chant des oiseaux excède peut-être ces fonctions biologiques pour manifester un sens poétique ou musical.
D’autre part, l’expression langue des oiseaux appartient au vocabulaire ésotérique et alchimique pour désigner des langages secrets. On décompose le discours sur la base d’associations phonétiques. J’ai réuni les deux significations, littérale (le chant des oiseaux proprement dit) et métaphorique (l’interprétation ésotérique). 

La structure de votre film est assez particulière : la division en chapitres fait penser à un essai, un objet hybride entre le livre et le film qui emboîterait différentes formes d’art : on y retrouve le chant, la musique, la performance, la littérature. On peut penser que vous vouliez montrer la part de poésie qui constitue le processus de recherche, est-ce le cas ?

L’idée principale du film est celle de la traduction. Je ne crois pas à une relation immédiate à l’animal, notre rapport est toujours médiatisé par des tiers, des agents techniques. Je suis réservé sur l’hypothèse du face-à-face magique entre l’observateur et le chevreuil surpris en forêt comme condition de possibilité d’accès à l’animal. Nous avons besoin d’une médiation qui en passe par des opérations de traduction, mais il ne s’agit pas seulement de traduire le chant des oiseaux. Il s’agit d’entrer dans la forêt des signes. Notre relation à l’animal est une expérience de traduction inter-sémiotique qui convoque la poésie, le bruit, la partition, le sonagramme, la musique, le film, en créant des passerelles entre les différents médiums. C’est l’expérience proposée par le film. S’agit-il du processus de recherche du film ? Sans doute. J’ai le sentiment de construire un film comme un chercheur ou un détective qui suit des pistes et des indices. 

Les effets de surimpression à la fois visuels et sonores semblent faire écho à la porosité qui existe entre les différents types de langages. La perception du chant des oiseaux étant essentiellement sonore, elle se noue dans le film à des formes visuelles. Pouvez-vous me parler de la construction du rapport entre le son et l’image dans votre œuvre ?

Le film est lui-même emboîté, mis en abyme, re-filmé, projeté, passant d’un écran à l’autre, comme une suite de remédiations qui insistent sur notre difficulté à toucher ou atteindre l’oiseau. Le principe de la transparence et de la surimpression est sans doute lié au rôle des documents. L’oiseau est devenu une archive. Mais l’opération de traduction en passe aussi par l’écoute. J’aime beaucoup filmer l’écoute. On perçoit souvent un flottement du regard, une inquiétude, une attention qui sont les signes d’une manière de pensivité. C’est le cas de cette séquence où l’artiste Violaine Lochu écoute au casque des chants d’oiseaux qu’elle s’essaie à reproduire ou à interpréter vocalement. Sa performance se situe précisément au point de jonction entre l’écoute et l’émission. 

La voix narratrice qui accompagne le film nous parle d’« une histoire d’avant », « c’était avant la sixième extinction, avant la disparition des animaux », dit-elle. Cela renvoie à la question du temps et de la mémoire qui émerge de votre œuvre. Est-ce que vous concevez le film comme un espace de sauvegarde où récolter des réalités vouées à disparaître ? Est-ce une façon de garder en vie les sujets que vous filmez ?

Le film fonctionne comme une capsule temporelle. Enregistrer le chant des oiseaux est une expérience mélancolique puisque l’on sait que leur chant est voué à disparaître en regard des conditions écologiques. C’est d’ailleurs un sentiment plus général. Nous filmons un monde en train de s’effacer. Il apparaît à l’instant de son extinction. Je souhaitais que ce sentiment soit présent. C’est un film qui a nécessité quatre à cinq ans de préparation pendant lesquels j’ai été confronté aux annonces successives de la disparition des oiseaux dans nos champs. Comment traduire cette situation ? J’ai opté pour une confusion des temporalités. La voix de la narratrice s’exprime depuis le futur, après la sixième extinction. Langue des oiseaux est filmé au présent tout en convoquant la mémoire de travaux ornithologiques ou langagiers. Les trois extases temporelles (passé, présent, futur) se confondent. J’espère qu’une promesse peut naître de leur tressage, mais le final du film reste plutôt sombre.  

En abordant des questions de langue et de traductions, votre œuvre se présente en quelque sorte comme un questionnement sur le langage cinématographique. Le film s’ouvre et se termine sur des outils d’enregistrement ainsi que sur l’image d’un écran de cinéma. La question de la représentation est ainsi évoquée notamment par la ressemblance entre les jumeaux Jopeck. Que signifie pour vous filmer le réel, quelle est l’importance de traduire le monde par le langage de la caméra ?

Lorsque j’affirme que nous n’avons pas accès à l’animal par un simple face-à-face mais à travers des remédiations, l’animal est sans doute une métaphore du réel. Toucher le réel suppose une série de courroies de transmission, d’intercessions, et j’aime assez que ces médiations soient visibles, que le réel se confonde avec son propre processus d’intellection. Le spectateur est invité à participer à un processus de recherche, et je tiens à montrer les conditions de l’expérience. Je me suis aperçu également que l’observation du chant des oiseaux repose sur l’usage d’outils techniques. L’ornithologie est un chapitre de l’archéologie des médias. C’est aussi un film sur la technique et ses possibles. C’est le processus de dédoublement du réel en possible qui me passionne au cinéma. Je préfère à cet égard le cinéma du possible au cinéma du réel.

Propos recueillis par Viola Scarpa

À lire également dans une version plus longue sur le blog Mediapart : https://blogs.mediapart.fr/cinema-du-reel-0

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