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Billet de blog 11 mars 2022

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Entretien avec Yunyi Zhu, réalisateur de Tout ce qui était proche s’éloigne

Un voyage perceptif où la perte d’un sens devient une porte vers d’autres mondes possibles.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La présence de votre voix nous a évoqué la forme du journal intime : qu’est-ce qui vous a poussé à faire le lien entre votre propre expérience de l’enfermement dû à la covid 19 et la cécité de votre ami ?
J'ai écrit ce film à partir de l’histoire de mon ami Xiaoxin. Au début je pensais le faire en Chine mais quelques jours avant mon vol j’ai attrapé la Covid et finalement je n’ai pas pu partir. Pendant le confinement j’ai ressenti une proximité avec l’expérience de la solitude vécue par Xiaoxin. De plus à cause de la Covid, pendant un mois j’ai perdu l’odorat; on peut voir un parallèle entre les deux expériences puisque dans les deux il y a la perte d’un sens.
Quand Xiaoxin a perdu la vue, j’ai senti qu’il était en route pour quelque part. En route pour un monde réel mais qu’il faut toucher pour le connaître. Un monde solitaire, puisqu'il n’a pas de relation avec ce monde qui est essentiellement visuel. Un monde poétique, peut être plus abstrait, fait d’images qui ont disparu dans ses souvenirs.  

Pourquoi avez-vous choisi de raconter l’aveuglement de Xiaoxin à travers l’expérience perceptive d’autres personnes non voyantes ? Qui sont-elles ?
Les enfants qui apparaissent dans le film font partie de l’Institut des jeunes aveugles de Lille. Alors que mon ami vivait son expérience de façon négative, je m’attendais à rencontrer des enfants tristes, et finalement, quand je les ai vus ils étaient joyeux et très contents de participer au projet, cela m’a donné beaucoup d’énergie.
Avant le tournage j’avais écrit un texte où j’imaginais le monde des non voyants, un monde qui pour moi n’était pas noir ou vide. Lors des échanges avec la jeune fille qui apparaît à l’écran j’étais heureux de retrouver mes pensées dans ses mots. Le monde des aveugles n’est ni noir ni blanc. Si on ferme les yeux on voit du noir, mais le noir est en réalité une couleur.

Nous avons remarqué différents registres d’images ainsi que la récurrence du motif de la fenêtre : comment en êtes-vous venu au choix du surcadrage et du floutage ? Y a t-il des plans en argentique et des images d’archives ?
Les images dans mon appartement en France ont été filmées en 16 mm par un chef opérateur. Puis, il y a des images en super 8 que j’ai tournées dans mon appartement pendant le confinement. De plus, j'ai demandé à un ami de faire des images en Chine, chez Xiaoxin et chez moi aussi avec une super 8. Lorsque j’ai reçu les images tournées en Chine j’étais très content car ce flou involontaire était exactement ce que je voulais. Je trouve intéressants les défauts dans l’image. Xiaoxin, moi-même, tout le monde a des défauts: mon ami à perdu la vue, moi l’odorat; chaque chose devient une métaphore pour autre chose. J’ai beaucoup pensé à la question de l’échelle. Assis en face de ma fenêtre, j’ai tous les jours regardé le paysage. Je pense que nous, les voyants, on peut savoir très facilement quelles sont les choses plus proches et plus lointaines, plus grandes et plus petites mais pour les aveugles le monde n’est pas comme ça. Il faut toucher pour connaître.

L’image du crépuscule semble être le fil conducteur du film. Est-elle une métaphore de la part de mémoire qui constitue la perception ? 
Je pense à cette citation de Hegel qui dit: « Ce n’est qu’au début du crépuscule que la chouette de Minerve prend son envol ». J’aime bien le moment de la journée où vient le crépuscule car la distinction entre la journée et la nuit est toujours un peu floue. Au début du film, on ne sait pas si c’est la fin de la journée ou bien le début. Tout d’abord, “Tout ce qui était proche s’éloigne” représente le processus qu'a traversé mon ami jusqu'à la cécité. C’est une métaphore de la tombée du jour : la lumière s'éloigne de nos yeux comme le visible qui s’éloigne. Mon ami a perdu sa vue progressivement. Pendant le confinement, mon oncle est décédé, « tout ce qui était proche s’éloigne » c’est aussi la famille qui s’éloigne. 

Aviez-vous l’intention d’accompagner le spectateur vers un questionnement sur sa propre manière de percevoir ?
Je pense que, pour les spectateurs, c’est très ouvert parce qu’il y a une multitude de métaphores. Je parle des aveugles et face à cela, chaque personne peut ressentir des choses différentes, comme dans un dialogue entre des voyants et des non voyants. Pour équilibrer l’aspect émotionnel, on a utilisé juste quelques simples notes de piano. Des notes qui s'éloignent. Ce film nous permet de repenser la distance. Le son s’éloigne, tout comme les sensations.

Vous faites souvent le choix de supprimer le son de ce qui apparaît à l’image. Est-ce une façon de redonner de l’importance aux autres sens ainsi qu’à la perception en dehors de la vue ?
Le son est plutôt minimaliste parce qu’il contribue à créer la sensation de solitude évoquée tout à l’heure. Mon ami Xiaoxin vit dans un monde réel où prime le toucher, parallèlement il vit aussi dans un monde très visuel. Quand on voit des choses, on dit souvent que c’est la vérité mais en fait, on ne peut pas savoir ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Ce film est aussi une proposition pour repenser les images puisqu’il y en a de plus en plus et pour les aveugles c’est compliqué de s’en sortir. Lorsque mon ingénieur du son demande à la jeune fille aveugle  « où est le soleil? Qu’est ce que l’espace? », elle répond : « le soleil est en haut et l’espace est la distance entre moi et mon copain. » Les voyants cherchent toujours à fournir des notions pour les non-voyants, sur comment sont les couleurs par exemple ou même sur comment se connaître soi-même. 

Sous quelle forme avez-vous restitué le film à votre ami Xiaoxin ? Quel a été son retour ?
Je lui ai montré le film, ou plutôt je lui ai fait écouter le son mais il ne m’a pas dit grand-chose, peut être parce qu'il ne comprend pas le français. Tout de suite après il m’a dit : « il n’y a pas mon visage dans ton film? ». J’avais filmé son portrait mais finalement j’ai trouvé qu’il n’était pas nécessaire de le montrer. Je crois que le fait que j'ai partagé son histoire lui a fait plaisir. Je pense que sa mère est contente aussi. Avant de perdre la vue, Xiaoxin voulait la ramener voir le crépuscule au bord de la mer mais finalement elle n’a rien vu car ce jour-là car il pleuvait beaucoup, c’est dommage. J’ai fait ce plan pour que sa mère puisse voir un beau crépuscule. 

Propos recueillis par Romy Krepper et Viola Scarpa

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