Qu’est-ce qui chez Manette vous a donné l’envie d’en faire le sujet de votre film ?
J’ai tourné le film avec l'idée de l'inclure dans une exposition où je présentais les broderies sur serpillère de Manette et certains de ses poèmes. C'était une occasion de vérifier si ce que j'aime chez elle depuis longtemps et la manière très particulière qu'elle a de vivre sa vie, seule dans sa maison, pouvait être mise en scène.
Cela faisait longtemps que vous nourrissiez ce projet ?
En entamant la réalisation du film, je travaillais sur une série d'expositions d'une artiste américaine, Pati Hill. Je pensais à l'époque, et je le pense toujours, qu'on dissimule trop souvent les raisons sentimentales qui orientent les recherches scientifiques. C'est probablement grâce à ce que j'ai compris de Manette, ou en tout cas ce que j'ai vu d'elle, que j'ai pu m'intéresser à Pati Hill. Elles sont pratiquement de la même génération et j’ai reconnu chez elles la même tentative (enfin, exprimée d’une manière très différente…) de s’accommoder des contraintes sociales de leur époque. Elles ont aussi une manière de considérer leur pratique artistique que j'aime beaucoup, je veux dire avec sérieux, mais sans chercher à dissimuler ce qu'elles font vraiment : des broderies sur des serpillères et des photocopies.
Et comment avez-vous convaincu Manette ?
Ça n'a pas été difficile et le film s'est fait très simplement. Le tournage a duré trois jours. J’étais seul avec elle, sans équipe technique. Je pense qu’être filmée l'amusait, et puis elle était contente que l’on soit tous les deux. Je lui avais dit que le film serait projeté dans le cadre d'une exposition et elle a longtemps pensé qu'il se concentrerait sur sa pratique artistique. Cela a certainement rendu le projet plus compréhensible pour elle. Même si finalement, il est davantage question de ses amours de jeunesse que de ses broderies. Et puis, elle ne me prenait pas du tout au sérieux. Elle me trouvait maladroit, inexpérimenté.
Donc le film ne ressemble pas à ce que vous aviez imaginé ?
À vrai dire, je l'ai tourné sans avoir une idée précise de ce à quoi il devrait ressembler. Il y avait trop d'incertitudes : sur la manière dont le tournage se déroulerait, sur les images que je pourrais produire, la qualité de nos discussions... Il y a très peu de scènes que j’ai imaginées avant de les tourner. La scène finale peut-être, et la musique de Now Voyager, oui.
À plusieurs reprises, Manette s’inquiète que ce qu’elle dit ne soit pas intéressant. Pourquoi avoir conservé au montage ces passages de doute ?
Je trouve étrange de faire croire au spectateur qu’il n’y a pas de dispositif dans un documentaire, particulièrement lorsque les gens racontent des détails intimes sur leur vie. Le fait que je sois son petit-fils, que nous soyons seuls durant le tournage, détermine entièrement la manière que Manette a de s'exprimer. C’est aussi pour cette raison que j’apparais au début du film. Même si Manette reste persuadée qu'on peut croire qu'il s'agit d'un très jeune amant.
Comment a-t-elle réagi au visionnage de la version finale du film ?
J'ai parfois eu peur de donner l'impression que le film allait contre elle, qu’il portait un jugement sévère sur elle. Je crois finalement que ce n'est pas du tout ce qu'on en retient, mais je ne voulais pas la voir démunie en s'entendant dire des choses qu'elle avait probablement oubliées. J'étais loin du compte puisqu'elle m’a juste reproché, et elle était sincèrement désespérée, de l'avoir filmée si longtemps avec son tablier et constamment en train de boire du whisky.
Pouvez-vous expliquer le titre, Nachtlied ?
C'est un choix assez arbitraire et anecdotique... Manette a été professeure d’allemand et traductrice et j’aimais l'idée que le titre soit en allemand. C’est aussi un lied de Schubert qu'elle a beaucoup chanté. « Nachtlied », c'est « le chant de la nuit », mais peu importe puisque personne ne le sait et que tout le monde est incapable de le prononcer !
Nachtlied est votre premier film, que retenez-vous de cette expérience de réalisation ?
Comme publier un livre ou faire une exposition, fixer quelque chose, faire des choix, c'est toujours très agréable. Ce que j'ai retenu... la découverte du montage peut-être, qui a représenté la plus grosse partie du travail. Mon frère est monteur. Il n'a pas monté le film, mais m'a beaucoup aidé et le film lui doit beaucoup, surtout parce qu'il m'a fait rencontrer Laura Rius, avec qui j’ai adoré travailler. Être monteuse, c’est un travail épouvantable ! Il faut passer des journées entières près de quelqu’un qui pense toujours avoir raison. Pas seulement sur vous, mais sur le film. Avec elle, j'ai compris qu'un film se construit autant à partir de visions, d'un désir d'images, qu'à partir d'une succession de choix logiques contre lesquels on ne peut pas grand-chose. C'est un peu grandiloquent dit comme ça, mais c'est un exercice d'humilité. Il faut savoir regarder les images et écouter les dialogues sans croire y trouver ce qu'on aimerait y trouver.
Propos recueillis par Mara Noury