Ce qui frappe d'abord le spectateur, c'est le choix de l'angle de la caméra. Comment l'avez-vous choisi ? Je me demandais si votre personnage, Andrew, était conscient que vous le filmiez.
La caméra est presque oubliée par Andrew à certains moments. Il y a certains moments dans le film, comme celui où Andrew décrit comment il doit dire à sa mère que sa sœur lui a rendu visite pour ne pas avoir à annoncer sa mort à chaque fois qu’il la voit. Ce moment particulier intervient environ 30 minutes après le début de la prise. Lorsque j'ai montré le film à Andrew, il n'avait aucun souvenir de ce moment. En plaçant la caméra à l'endroit où elle se trouve, son importance diminuait au cours du tournage d'une prise, ce qui, je pense, a contribué à donner un caractère naturel ou authentique au film.
J'ai choisi cet angle pour un certain nombre de raisons. J'aime la dynamique de la conversation dans une voiture, c'est un espace intime où deux personnes regardent devant elles et non l'une vers l'autre, cela peut créer un sentiment de sécurité et mener à une conversation plus intime, que si on est assis face à face. C’est ainsi que j’ai appris à connaître Andrew et j’ai voulu conserver ce cadre.
L'angle est familier, aussi, parce qu’il fait écho à l'histoire personnelle du spectateur-passager de la voiture, le point de vue de l’enfant… C’est presque comme si nous en faisions partie. Vous avez dit que vous l'avez filmé sans interruption. Qu'avez-vous utilisé pour filmer les trajets d'Andrew ?
Oui, je le ressens aussi, il y a une sorte de tranquillité à être sur le siège arrière, à observer le monde à travers le pare-brise, à entendre les dialogues mais à ne voir que l'arrière de la tête des personnages et parfois leur profil. Nous avons utilisé l'Arri Alexa Classic, qui nous a permis de filmer la totalité du voyage de retour sans interruption.
Combien de voyages y a-t-il eu ?
Nous avons tourné environ une fois par mois, pendant douze mois. Onze voyages sont inclus dans le film, à l’exception du premier. Chaque mois, le matériel était loué pour deux jours, donc nous avions deux prises par mois. La façon dont nous avons tourné le film, nous avions une fenêtre de temps limitée où nous pouvions tourner, parce que nous tournions à l'heure de pointe du soir, à 17 heures, ce qui ne peut pas être simulé. Pour l'une des scènes, le directeur de la photographie n'était pas disponible et nous n'avions qu'une seule prise, qui était une scène très longue, celle avec l'iPad. Heureusement, ça a marché sur cette seule prise. C'était une façon risquée de faire le film mais c'était aussi vivifiant d'une certaine façon.
C'est déroutant d'apprendre que vous aviez vraiment des acteurs pendant le tournage, comme Cheree. Qu’est-ce qui a été écrit ?
Le récit a été écrit dans les grandes lignes mais les dialogues ont été improvisés. Chaque session de tournage était écrite pendant les semaines qui le précédaient, dans la mesure où Andrew et moi savions tous deux où la conversation allait aller. Cette façon de tourner était intéressante car des événements survenus au cours de l'année ont influencé le film, le faisant évoluer de manière inattendue. Par exemple, la mort de la mère de Cheree est survenue au cours de l'année de tournage. La mère d'Andrew était morte des années auparavant.
Vous avez dit que certains éléments du film sont recréés, comme la mort de la mère d'Andrew. Ne lui parle-t-il pas au téléphone pendant la première moitié du film ?
En fait non. Quand j'ai rencontré Andrew, il me raccompagnait parfois jusqu’à chez moi. Chaque jour, en rentrant du travail, il appelait sa mère, dont la démence s'aggravait, et sa femme Cheree. Pendant la préparation du film, sa mère est morte. En fait, c’est Cheree qui joue le rôle de la mère d'Andrew, parce qu'elle sait comment est la mère d'Andrew. Je pense que cela a été très dur pour tous les deux, et ça n'a pas duré. À un moment dans le film, Andrew appelle et ne peut joindre que l'infirmière. Nous avons trouvé d’autres solutions qui ont bien fonctionné.
J'ai vu que vous avez monté le film vous même. Comment avez-vous choisi ?
Je montais au fur et à mesure. Je regardais ce qui avait été tourné et je pensais à ce qui serait inclus dans le tournage du mois suivant, en gardant à l'esprit la forme générale que je voulais donner au film. Pour moi, le processus de montage consistait à trouver un rythme dans le film, en laissant tomber la conception formelle. Le montage a nécessité de travailler ces séquences pendant de longues périodes de temps, et de travailler le rythme.
Une grande partie de ce qui empêche votre film d'être monotone, ce sont les moments où votre personnage Andrew vous pose des questions, et où vous n'êtes plus celui qui contrôle la conversation.
Tout cela était en grande partie prémédité. Prenez par exemple la scène où Andrew parle pour la première fois de son mariage avec Cheree. Il ne m'a pas semblé naturel d'interroger Andrew immédiatement sur son mariage, alors il a été conçu qu'il me pose d'abord des questions et que je réponde ensuite par des questions sur sa vie.
Et le drone ? C'était votre idée ou celle d'Andrew ? On dirait qu’il lui appartient.
Le drone apparaît dans une scène où Andrew me montre cette partie de sa vie sur l'iPad, une maison qu'il possède dans les plaines occidentales du Victoria, un espace liminaire entre sa vie à Melbourne et la ville où les mères d'Andrew et de Cheree résidaient, Adélaide. L'importance de cette région de l'Australie pour Andrew s'est imposée à moi au cours du tournage, et j'ai envisagé d'introduire ces plans dans le film au moment du montage.
Le plan d'Andrew et Cheree dans les plaines est une image importante pour moi. Ils n'ont jamais eu d'enfants et leurs deux parents sont décédés au moment du tournage. Ils sont seuls dans ce vaste paysage plat avec le ciel immense au-dessus. Le film porte sur l'âge où l’on est adulte et les parents meurent, et notre propre mortalité est soudainement mise en évidence. Je me souviens avoir entendu Seamus Heaney parler de cet âge en utilisant l’image d’une grange qui perdrait son toit. Tout à coup il ne reste plus que le ciel. Ce plan là est un peu à l’image de cette phrase de Heaney.
Propos recueillis par Nour Ben Saïd