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Billet de blog 14 mars 2022

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Entretien avec Nicolás Pereda, réalisateur de Dear Chantal (Querida Chantal)

Dear Chantal (Querida Chantal) constitue un hommage à la réalisatrice Chantal Akerman, conçu comme une série ludique de lettres impossibles échangées entre Chantal Akerman et la sœur de Nicolás Pereda. Dans ses lettres, Chantal Akerman indique vouloir louer la maison de la sœur de Nicolás Pereda, située à Mexico.

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Comment vous est venue l’idée du film ?
Le festival de Punto de vista, un festival espagnol du film documentaire, a commandé à plusieurs réalisateurs des films sous forme de lettre adressée à un réalisateur qu’ils admirent. Puis, la pandémie est survenue et j’ai dû vivre avec ma sœur et ma famille. Je devais faire un film réalisable dans ce contexte. J’apprécie beaucoup les films de Chantal Akerman. Un film qui m’a particulièrement ému est News from home, où Chantal Akerman reçoit et lit des lettres depuis New York envoyées par sa mère. Les lettres dans ce film sont très sèches, et le contenu des lettres est très éloigné de l’atmosphère new-yorkaise. Rendre hommage à Chantal Akerman n’est pas une chose facile, j’ai plutôt voulu rendre hommage à ce film, dans une certaine mesure. J’ai également lu le livre de Chantal Akerman intitulé Ma mère rit. Elle raconte avoir voyagé au Mexique plusieurs fois. Tout ce qu’elle raconte au sujet du Mexique est péjoratif. C’est étonnant car généralement, la littérature européenne est plutôt élogieuse à ce propos. Son expérience semblait terrible. J'ai aimé être un intermédiaire de quelque chose qu'elle a déjà connu. Donc je dirai que mon film est à la fois une petite blague et quelque chose qui nous a occupé ma sœur et moi pendant que nous étions en quarantaine.

Qu’évoquent les tableaux abstraits présents dans le film ?
Pour moi, les films, dans leur essence, sont matériels. Il ne s'agit pas d'idées, mais d'espaces et de lumières. Cette peinture est un cadeau qu'un ami m'a fait. Comme je déménage souvent, je crois que c'est le seul tableau que je possède, même s'il n'est pas vraiment chez moi mais chez ma sœur. Je ne filme pas ce tableau en pensant à l'interpréter ou à le filmer. Il est question de rythme et d'imagination d’un espace dans lequel quelqu’un déplace toutes ces choses et essaie de trouver un sens à l'emplacement de cet énorme tableau. C’est une chorégraphie. La présence du tableau prend son sens lorsque je mentionne que ma sœur est peintre. En tant que peintre, elle révèle ne pas avoir regardé les films de Chantal Akerman parce qu'elle ne veut pas que le cinéma lui impose sa propre vision. Les images au cinéma sont si puissantes que les autres formes d'art semblent être diminuées à côté, ce qui, je crois, se produit souvent. Cette idée d'un peintre refusant de regarder le cinéma m'a semblé intéressante.

Devons-nous comprendre que la mise en scène est également spontanée ?
Non, la mise en scène est préméditée car j’ai effectué certaines prises plus d’une fois. Même si nous n’étions que tous les deux (ma sœur et moi-même), nous avons passé la journée à tourner. Cela avançait très lentement. Surtout que j’ai dû prendre le son séparément de l’image. Bien que la mise en scène ne soit pas spontanée, elle n’a pas pour autant un sens prédéterminé. Par exemple, à propos des feuilles mortes sur le toit, ma sœur trouvait jolie la façon dont la lumière traverse le verre de la fenêtre pleine de feuilles. Elle pensait que l’action de les déplacer serait encore plus jolie, alors j’ai dit « essayons » et ça a marché. Les livres sont intéressants parce qu’ils vous donnent un aperçu de la vie de quelqu’un. En parcourant sa bibliothèque, vous allez un peu plus loin dans la vie de cette personne.

Il est intéressant de constater une dualité constante entre l’intime (les lettres, la maison) et l’exposition (le contenu des lettres divulgué et l'intérieur de la maison visité par le spectateur). Pouvez-vous nous dire quelques mots à ce sujet ? 
J'aime l'idée que l'intimité et la froideur coexistent. C'est le cas d’un Airbnb. Vous entrez dans la maison de quelqu'un, mais elle ressemble à un hôtel. Au Mexique, les Airbnb sont devenus des hôtels et les espaces sont si parfaits et si propres que personne n'y vit. J'ai adoré filmer dans la maison de ma sœur, froide et vide, puisqu'elle n'avait pas encore emménagé. Sa maison était très froide, comme ces photos d'Airbnb. J'aime le fait de garder une distance avec les lettres. Parfois, j'ai l'air vraiment excité de découvrir ces lettres de Chantal Akerman, mais en même temps je ne peux pas montrer mon excitation parce que c'est embarrassant. La dualité entre garder une distance et se rapprocher me paraissait intéressante à explorer. 

Propos recueillis  par Mehdi Bougueham. 

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