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Commençons par une question évidente mais essentielle : qu'est-ce qui vous a inspiré Mangosteen ?
Mes films n'ont généralement pas de point de départ exact ni d'inspiration unique. Il s'agit souvent d'une accumulation et d'un mélange. Pour ce projet, je suis parti de l'idée que je voulais faire un film avec une approche plus narrative. Je voulais écrire une histoire. C'est devenu mon voyage personnel de me questionner sur ces sujets : que signifie écrire une fiction ? Et que produisent les histoires ou comment influent-elles sur notre compréhension de la vie ? Qui écrit l'histoire ? Qui relate l'histoire qui est racontée et que signifie posséder une histoire ? Et ainsi de suite. Je suppose que je suis toujours sceptique sur l'image en général, et aussi sur la technique et sur la narratologie qui la rationalisent.
De plus, il y a des mèmes sur Internet qui se répandent à propos de pattes de chat qui ressemblent à des pulpes de mangoustan ; c'est devenu populaire au point que les gens commencent à utiliser le terme (traduit du thaï) « chat mangoustan » pour décrire les pattes de chat. Ça m'a vraiment inspiré.
Était-il important pour vous de ne pas avoir un scénario finalisé afin de vous permettre de vous laisser emporter par l'histoire ? Pensez-vous que quelque chose de nouveau a émergé lors du tournage, qui n'aurait pas pu être scénarisé ?
Oui, c’est très important. Pour ce projet, je voulais vraiment prendre de la distance avec l'intrigue et les personnages vagues que j'avais initialement écrits. Ainsi pendant le tournage avec un scénario inachevé, de nombreux éléments finissent par être re-vus et ré-interprétés. Je voulais développer l'histoire du film pendant le tournage en fonction des acteurs, des aléas de la production et des lieux de tournage. J'ai essayé de laisser venir d’autres histoires qui interrompaient ou détournaient le récit principal que j'avais créé au préalable. Ainsi de nombreuses scènes improvisées ont émergé et ont fracturé la structure. Pour moi, il s'agit plutôt de désapprendre pour réapprendre.
Le film et le processus de réalisation ont-ils changé ou éclairé votre point de vue sur la narration et son implication dans nos vies ? Si oui, dans quelle mesure ?
Je pense que cela a changé mon point de vue. Lorsque j'écrivais et que je réfléchissais à la manière dont tout pouvait s'assembler, j’ai découvert que j'étais plus conscient avec une sorte de cadre rationalisé prolongé – la réflexion est plus claire. La fiction est encore plus rationnelle que la réalité – tout fait sens.
Vous avez une approche animiste dans le film : les objets se voient attribuer une vie propre (par exemple, le conteneur du début semble bouger seul dans les plans rapprochés) et la nature est un personnage à part entière, ses sons sont souvent privilégiés par rapport aux dialogues ou à la musique…
Les récits périphériques m’intéressent, ce qui ne transmet pas parfaitement l'histoire principale, ce qui est forcé de servir l'histoire principale, parce qu'ils (la nature, le son, les objets, etc.) ont aussi leurs propres histoires. Par conséquent, tantôt ils s'intègrent au récit principal, tantôt ils le perturbent, prenant le dessus ou en étant aliénés, comme sur un champ de bataille.
La métamorphose consiste à changer sa forme habituelle pour survivre (aussi bien pour un personnage que pour le film) ; la forme change, mais le cadre conceptuel demeure à mon avis. J’imagine que j'essaie de remettre en question la vie supposément survécue avec d'autres manières possibles d'envisager la « vie ».
Au fur et à mesure de sa progression, le film va vers le surnaturel, une forme de surréalisme. Comment parvenez-vous à travailler cela dans un documentaire ?
Je cherche à ce que le processus de réalisation du film se développe ou se fracture de façon plus organique et rhizomique, à la fois dans l'espace physique et mental. Je ne me suis pas imposé d’aller vers un genre spécifique, c'est peut-être pour cela qu'il y a un peu de ceci et de cela.
Comme le montre votre filmographie, vous êtes attaché à l'irrationnel. Que représente-il pour vous et comment rejoint-il l'idée de métamorphose ?
Je suppose qu'en général, je m'intéresse à l'idée de cadrage, mentalement et esthétiquement. Et je pense que « l'irrationnel » est la plupart du temps étroitement encadré. La dichotomie entre irrationnel et rationnel ne me parle pas, je m'intéresse plutôt à ce qui se joue entre les deux et au pouvoir potentiel de l’irrationnel.. Pour moi, la métamorphose, c'est un peu comme si l'on changeait l'image mais que le cadre autour restait le même.
Pour quelle raison utiliser le mangoustan en particulier comme motif, autre que sa prévalence dans la région du tournage ? Ouvre-t- il sur des manières particulières de raconter l'histoire ? Exprime-t-il, selon vous, le conditionnement et le traitement humains (littéralement illustrés par le traitement répété du fruit) ?
Le mangoustan a une qualité gore, de par sa pulpe blanche et sa partie intérieure rouge. C'est mignon, beau, violent et nutritif. De plus, la texture et la fibre de la pulpe évoquentles nerfs et les synapses. Mais tout cela pourrait être totalement sans intérêt en dehors de ma logique humaine. Je voulais jouer avec un motif flou, et non pas induire une interprétation possible.
Avez-vous des films en préparation ou des projets pour l'avenir ?
Pas pour le moment. Pour l'instant, je veux rester tranquille pendant un certain temps, puis je commencerai à lire et cela m’amènera peut être à un nouveau travail.
Propos recueillis et traduits par Fiona Olmo
Film projeté le Vendredi 24 mars à 17h au Centre Pompidou (C1) et le Dimanche 26 mars à 14h30 au Forum des Images.