Un film délicat, sensible, où la présence de l’être au monde dans la nature pourrait répondre de la poésie de Whitman. Se renoue ici un lien perdu entre homme et nature, dans un temps qui nous semble étranger et avec lequel on renoue pourtant facilement. Une lenteur qui se confond avec la liberté du corps, facile à délivrer de sa honte et de sa gêne lorsqu’il s’agit de revenir à l’état naturel. La nature apparaît ici comme délivrée du poids des codes sociaux, elle n’est pas hostile et accueille les hommes et femmes qui la cherchent, la retrouvent et s’y perdent.
Comment vous est venue l’idée d’étudier les lacs à partir d’un microcosme ?
C’était le sujet de ma deuxième année d’étude au Fresnoy où j’étudiais l’histoire de monde submergés pour un court-métrage. Suite à cela j’ai découvert George E. Hutchinson et son travail pionnier sur la limnologie [la science des eaux stagnantes] et l’écologie moderne. Il m’a permis de voir un lien entre la façon dont la science et l’art perçoivent la nature et notamment les lacs et leur paysage, car il s’intéressait aussi à la façon dont la littérature et la poésie les décrivaient. Mon travail est parti de là : quelles sont les différentes manières dont chacun se représente les espaces uniques que sont les lacs ?
Le titre du film évoque un monde au-delà de l'eau, au-delà de notre temps et du monde que nous connaissons : comment ce titre incarne-t-il l'ensemble du film ?
Le titre est une convergence de temps et d'espace différents d'une manière que nous ne pouvons pas comprendre, et il y a quelque chose qui n’est pas vraiment transparent à ce sujet. C'est à chacun de décider de son rapport avec le film. Mais il s'agit d'un monde qui nous est en quelque sorte impossible à imaginer. C'est un temps impossible, demandant de comprendre la valeur, l'importance de l'eau dans nos vies.
C'est un film très païen, il n'y a aucune notion d'Eden et de paradis religieux à l'intérieur. Cela pose des questions sur la façon dont nous pouvons rétablir la relation entre culture et nature. Si nous pouvons le faire d'une manière qui n'est pas chrétienne, alors nous avons besoin de nouveaux mots pour le décrire.
Quelle perception du temps souhaitez-vous montrer dans votre film ? Il donne l'impression d'un temps très pur qui ne peut qu'être montré ou vécu mais qui est au-delà des mots et au-delà de notre propre façon de vivre le monde moderne. Votre film est-il une forme de proposition pour une durée différente du temps ?
Le film montre qu’il y a un autre temps possible qui ne dépend pas de notre perception du temps. Nous avons toujours tendance à tout mesurer en fonction du temps humain et de notre rythme personnel, surtout dans le monde moderne. C'est l'une des ultimes choses que l'art a le pouvoir de faire : il nous permet de réajuster notre perception du temps et nous offre l’expérience de vivre un temps qui n'est pas le nôtre. Le film n'est pas là pour mimer un temps, c'est un espace pour imaginer, proposer ou dialoguer, penser comment ces différents temps pourraient se rencontrer.
Votre film semble à mi-chemin entre le documentaire et la fiction : selon vous, qu'apporte le documentaire au cinéma ?
Dans ce film il y a des éléments qui sont fictionnels et d’autres qu'on pourrait appeler documentaires. Mais c'est une des choses que j'aime dans le festival Cinéma du réel, car le nom du festival est très ouvert. Je pense que ce film traite beaucoup de la matérialité des espaces, des corps, du temps et j'essaie de travailler avec eux. C’est une question à laquelle il est difficile de répondre, car il est difficile de faire un choix.
Pouvez-vous me parler de votre choix de découper le film en trois parties avec des caméras différentes ?
Cela a changé avec le temps : la façon dont nous avons commencé à tourner le film n'était pas celle dont il s'est terminé. C'était supposé être un film uniquement sur le moment présent, mais ensuite j'ai réalisé que je voulais créer un film qui aie la possibilité de passer d'un temps à l'autre, qui montre le pouvoir transformateur du cinéma.
Je voulais que trois parties se déroulent également à des moments différents, et nous voulions représenter un certain sentiment avec chacune des parties, donc cela nous semblait correct d'utiliser des caméras numériques pour le présent, et pour le passé, de le faire en 16mm. On s’est enfin demandé ce qu’on allait choisir pour le futur. L'option évidente était d'utiliser les caméras les plus récentes comme les téléphones, les Go Pros et les drones, mais le problème est que la technologie vieillit très rapidement et que les images semblent datées très vite également, donc cet anachronisme à venir nous a donné envie de remonter plus loin dans le passé et de créer le futur d'un point différent, qui ressemble plus aux souvenirs de films de science-fiction que nous avons et qui viennent des VHS.
Il y avait donc le sentiment qu'aujourd'hui, nous n'accepterions plus de regarder cela, mais le flou de l’image donne l’occasion, à nous et aux téléspectateurs, d'imaginer, et de continuer à travailler et à construire ces mondes qu’il appartient à chacun de nourrir.
Comment avez-vous choisi les différents textes que vous avez donnés à vos comédiens ?
Cela dépend des textes. Pour le texte de Miguel de Unamuno par exemple, il était clair dès le début que l'une des parties serait en quelque sorte liée à cette « nivola » *. Les autres sont, pour certaines, davantage liées aux lieux. Pour le poème de [Wisława] Szymborska, je voulais un texte que mes acteurs pourraient parler dans leur langue maternelle et j'ai pensé que je pourrais trouver un poète polonais pour Jonasz [Hapka]. Donc peut-être Szymborska. Elle a écrit ce poème intitulé Eau, qui pourrait paraître trop évident, mais peut-être que ce n'est pas grave, et que c'est en fait agréable de lire un poème intitulé Eau au début d'un film comme celui-ci. Dans ce cas, c'est presque comme si le poème avait trouvé le film.
*Nivola est le néologisme créé par Miguel de Unamuno pour désigner ses propres créations de fiction narrative.
Propos recueillis par Auriane Lebert.