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Billet de blog 16 mars 2023

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Entretien avec Harald Hutter, réalisateur de Up the River with Acid

Un documentaire qui suit pendant deux jours le quotidien de Horst, atteint d’une série de déclins cognitifs.

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Illustration 1
© Harald Hutter

Harald Hutter : « J'ai voulu montrer la lourdeur du silence et de l'isolement dans la maladie qui affecte mon père. Dans la maison où il vit avec ma mère en Touraine, le temps est long, voire cyclique. Ses journées se ressemblent toutes et sont rythmées par le rituel d’un quotidien qui ne change jamais : petit-déjeuner, exercices, marche, déjeuner… S’il ne déjeune pas à midi pile, il est déboussolé. C’est son moyen à lui de rester ancré dans la réalité. Je me suis néanmoins demandé si je voulais montrer ce visage-là de mon père. Il était auparavant professeur de philosophie à Concordia au Canada et avait une vie très active ; il écrivait, avait un grand cercle d’amis et voyageait tout le temps. J’aurais pu montrer ce deuxième visage pour rendre visible la rupture provoquée par la maladie. Mais je ne l'ai pas voulu. Il me tenait à cœur de rendre hommage à mon père non pas pour ce qu'il a été mais pour ce qu'il est, aujourd’hui, depuis qu'il est atteint de cette maladie. J’ai donc voulu être au plus près de lui, faire entendre son univers sonore et donner à voir les gestes les plus insignifiants qui ponctuent son quotidien. On entend les cloches de l’église rythmer son monde, le râle de sa respiration lors d'un exercice de yoga. On le voit couper longuement du pain, ou marcher d’un pas difficile lors de sa balade hebdomadaire. Les séquences sont longues parce que je crois que, pour comprendre mon père, il faut s’immiscer dans sa temporalité, écouter attentivement son rythme de vie. D’ailleurs, on a eu très peu de matière et de sélection au montage : sur 140 minutes en tout pour un tournage d’une semaine, on a obtenu à la fin 63 minutes d’images. Je n’ai pas remonté le film pour sauver des scènes, parce que ce qui importe, je l'ai déjà dit, c’est le quotidien de mon père. 

Il faut aussi être attentif au regard que ma mère porte sur mon père. Elle occupe une place singulière parce qu'elle est tout à la fois personnage à l’écran et narratrice par la voix-off. Elle est écrivaine de métier et écrit beaucoup depuis que mon père est tombé malade ; je crois que c’est sa manière à elle de cohabiter avec la maladie. Nous avons collaboré pour que ses textes soient au cœur du film.  Certains avaient déjà été écrits avant le tournage, d'autres ont été remaniés sur le moment. C’est une manière en tout cas de percevoir mon père autrement, avec une certaine distance et à travers l'épaisseur de ses mots à elle. « Je t’entends souvent rejouer ton existence, les dates marquantes. Tout s’assombrit en toi, on n'y voit plus grand chose. » Ma mère est seule parce qu'elle porte pour deux le souvenir de leur vie, et l’écriture l’aide à faire ce travail de mémoire. Je voulais que cette solitude se ressente à l’écran. Ils sont toujours ensemble, l’un à côté de l'autre dans la même maison, parfois dans la même pièce, mais finalement sans réelle proximité, sans véritable présence. Mais je ne voulais surtout pas faire un film larmoyant. Tout n’est pas malheur dans leur quotidien : il y a aussi des moments d’intimité et de véritable communication. Surtout dans la scène tournée en 360, lorsque mon père et ma mère se remémorent leur première rencontre. Ma mère finit les bribes de phrase de mon père qui peine à se souvenir de leur histoire. Je crois que c’est ma scène préférée. On apprend que mes parents se sont rencontrés à Yelapa au Mexique dans un café et qu’ensuite, up the river, près d’une chute d'eau, ils ont fait ensemble l’expérience d'un trip au LSD. Cette scène est une vraie présence à deux dans la parole et une vraie respiration pour le spectateur, la seule du film peut-être.

J'aimerais dire aussi que mon père était conscient qu'on le filmait. Je ne voulais pas qu’à cause de la maladie ce film soit tourné malgré lui, à son insu, et qu’il y ait pour le spectateur une ambiguïté sur le consentement de mon père à participer au projet. Aujourd’hui, puisque son état a empiré, cela aurait été différent. Mais au moment du tournage, quand le déclin cognitif n'était pas total et qu'il était encore capable de participer à la réalisation du film avec moi, j'ai voulu laisser mon père œuvrer librement devant la caméra. C’est aussi pour cette raison que je lui donne la voix au tout début du film. Tout part d'une anecdote qui, je trouve, permet de bien pénétrer le monde intérieur de mon père. Il s’est réveillé à trois heures du matin en étant persuadé qu'il était trois heures de l’après-midi, et qu'il devait prendre un avion pour aller quelque part. Il m'a appelé le lendemain pour me raconter cette histoire et nous en avons ri tous les deux. 

Ce qui tenait le plus à cœur à mon père, c'était de montrer les exercices spirituels de son quotidien. J’ai respecté son choix et gardé en tête ce désir lors du tournage et du montage : je voulais être fidèle à ses idées et aux gestes qu'il essaye de mettre en pratique pour mieux vivre avec la maladie.  Ma mère dit d’ailleurs à son sujet dans le film, dans la première voix-off : « apprendre à mourir est devenu un exercice plus pressant. » C’est très juste. Cela rejoint surtout l’idée que mon père se fait de la philosophie comme manière de vivre et d’être au monde. 

S'il ne parle pas de philosophie, ce film est implicitement philosophique dans sa manière d'aborder le sujet – par son traitement de la durée, du son, du point de vue. Les idées au cinéma, je crois qu'il faut les mettre dans la forme et non pas dans la narration. » 

Propos recueillis par Martin Decouais

Film projeté le Vendredi 24 mars à 19h au Centre Pompidou (C1) et le Lundi 27 à 18h au MK2 Beaubourg.

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