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Billet de blog 19 mars 2025

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Entretien avec Lee Anne Schmitt, réalisatrice de Evidence

Avec ce film très personnel, la documentariste américaine Lee Anne Schmitt nous invite à réfléchir, à partir de son histoire familiale, aux liens évidents entre le conservatisme aux États-Unis et les vies intimes de ses habitants.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Lee Anne Smith

Pourquoi avoir choisi de nommer votre film “Evidence” ? 

Lee Anne Schmitt : Ce qui m’intéressait dans ce film, c'était les traces matérielles et les manières dont les choses nous impactent, et comment rendre cela visuellement. Je voulais donc combiner ces livres et ces archives avec les objets domestiques, et les mettre en quelque sorte sur un pied d’égalité, comme une archive le ferait. Concernant le titre, de nombreux films prennent comme point de départ cet intérêt pour une prise de contrôle du domaine de la justice. Je voulais donc que le titre soit une référence à cela, et qu’il se poursuive ensuite dans le monde domestique, privé. 

Votre père a été employé par une entreprise qui a financé des causes conservatrices, cependant vous gardez dans le film un point de vue assez distancié vis-à-vis de votre famille. 

Je pense qu’à bien des égards, mes parents ont été ouverts plus que d’autres l’ont été. Ils nous ont donc élevé dans le but que nous devenions des personnes qui réfléchissent par elles-mêmes, et ils étaient et sont encore très fiers de cela. Je crois que faire ce film binaire entre la gauche et la droite aux États-Unis, ou bien même entre la droite et les libéraux m’a beaucoup aidé. Nous avons tous grandi dans le même système et nous devons beaucoup travailler pour comprendre l’histoire dans laquelle nous avons grandi. Mon père a arrêté de croire à ses idées ces dernières années, il a beaucoup changé depuis. C’était important pour moi d’évaluer à quel point j’étais affectée par cette idéologie et à quel point je la portais. Nous sommes tous des produits du monde, et j’ai appris de mes parents que je croyais à diverses choses, c’est très complexe. 

Dans le futur, pensez-vous qu’il est possible que les États-Unis, qui ont toujours été basés sur le système capitaliste, puissent abandonner le système de la démocratie libérale ? 

Le film est justement un espace méditatif sur ces sujets. Nous pouvons espérer que quelque chose de radical arrivera, que nous trouverons d’autres façons de vivre. Je mesure les

limites de notre système chaque jour, notamment en terme environnemental, et je pose donc la question d’un éventuel changement dans ce film, que nous en soyons capables ou non. 

Pensez-vous que si Olin Foundation ainsi que les autres entreprises n'avaient pas donné de l’argent aux causes conservatrices, le destin du pays aurait été différent ? Si cet argent avait été donné à des causes sociales par exemple ? 

Bien sûr. Si les deux personnes les plus riches du pays avaient décidé d’arrêter la faim ou le sans-abrisme, elles auraient pu. Si les personnes vivaient dans un autre rapport avec l’argent et la propriété, nous vivrions dans un monde différent, mais tout cela est tellement lié à la construction idéologique du pays… 

Pourquoi avoir choisi de filmer en pellicule ? 

C’est une façon de filmer, j’adore cela. Je viens de la photographie et la première caméra que j'ai utilisé fonctionnait avec de la pellicule. Filmer avec la pellicule c’est pour moi capturer le temps. J’aime la manière dont la pellicule capture le paysage, comme quelque chose d'architectural. J’ai bien essayé de filmer en numérique, mais en tant que créatrice, je trouve cela moins intéressant. 

Dans le film, il y a très peu de matière organique, d’humains, exceptés vous et votre enfant, et vous êtes masqués. Les seuls humains présents apparaissent sur des archives. Quel était votre but en filmant les paysages, les zones désertiques ou encore vos poupées d’enfance ? 

La plupart de mes films montrent les marques que les gens ont laissées. Je pense que je n’essaie pas d’utiliser l’histoire des gens, j’essaye d’être très légère avec cela, même avec mon présent et celui de ma famille. J’essaye d’utiliser tout cela dans une forme spécifique, je veux montrer les marques de ce système dans un espace à un moment précis. Je ne suis pas intéressée par les documentaires sur une personne en particulier ou même les fictions de ce type. Je veux vraiment rendre compte des erreurs des personnes et ce qu’elles ont engendré, et pour moi ce documentaire est une façon de le faire. 

Vous faites des parallèles entre la vie privée et publique, plus précisément dans la façon qu’a le gouvernement d’affecter l’intimité. Comment vivre dans un pays conservateur impacte-t-il la vie privée ?

Toute l’histoire se fonde là-dessus. Il y a un contrôle du gouvernement sur le corps et sur la structure de la famille, allant aussi loin qu’il le peut. La structure de la famille se retrouve dans la structure de l’Etat. Cela se retrouve aussi dans la vie non-politique. Les gens vivent leur vie, ils ont leurs moments de joie, leurs histoires d’amour, ils grandissent et eurent, ils ont une expérience de vie. Je voulais montrer cela aussi, parler de résistance, de survie vis-à-vis du système.
J’ai réfléchi à ce film pendant six ans, et je pense tous les jours à sa fonction. Un documentaire, c’est comme réunir plusieurs personnes pour une conversation, prendre le temps d’être ensemble et réfléchir à un même sujet. Beaucoup de films que j’ai vu m’ont aidé à comprendre certaines choses et permettent aux gens de se sentir moins seuls, c’est ce que j’espère pouvoir transmettre.

Propos recueillis par Carla-Marie Mauquet 

Le film sera projeté :

le samedi 22 mars à 13h30 au cinéma l'Arlequin.

le lundi 24 mars à 16h15 au cinéma Reflet Médicis.

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