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Stigmatisés par leurs proches et les discours religieux, Reine et Rodrigue se lèvent pour prendre la parole. Le couple réussit à s'intégrer dans le village à travers les rituels religieux. Comment articulez-vous le paradoxe entre exclusion et intégration ?
Le paradoxe entre exclusion et intégration dans la société est une scandaleuse et déchirante situation à laquelle est confrontée ce couple au quotidien, tout comme nombre des malades du sida en République centrafricaine. Ce problème est loin d’être réglé, en dépit des efforts du Ministère de la santé, des collaborations avec de nombreuses ONG et des séries de sensibilisations. Ce paradoxe, le cœur de la problématique du documentaire, traduit la force de caractère de ce couple, qui surmonte les différentes tensions de leur milieu. Cela témoigne à plus forte raison de la nécessité de réaliser ce film et pour ce couple d'en être les protagonistes. C'est un moyen de changer le regard des spectateurs sur les malades du sida et mener un combat contre l'hypocrisie. Contrairement au cas de ce couple et à leur très grande force mentale, l’intégration est le plus souvent difficile, voire impossible. Les malades sont obligés de cacher leur maladie à leurs proches, voire même au personnel soignant. À cause de la stigmatisation et de la crainte d’être jugés par des voisins malveillants, ils choisissent contre leur gré de s’abstenir, d’aller suivre les traitements dans les centres médicaux, donc de mourir en silence.
On peut observer les habitants adresser des regards curieux et intrigués vers votre caméra. Quel était votre place en tant que réalisateur au sein du village et de l’intimité de Reine et Rodrigue ?
En tant que documentariste, je jouissais d’une place assez particulière au sein de la communauté et de l’intimité du couple. Je ne me vois pas seulement comme un filmeur. Au sein de la communauté, j’avais un engagement politique, social et culturel. J’essayais dans un cadre précis de créer un espace de dialogue et d’interaction entre les gens du quartier afin que la parole se libère plus facilement. Au sein de l’intimité du couple, j’ai pu créer un espace d’échange et de lien étroit qui a incité Reine et Rodrigue à effectuer des actions concrètes tout au long du tournage. J’ai provoqué chez eux des réactions, suscité en eux une transformation à partir de leurs propres histoires et vécus, propos et désirs.
Que symbolise pour vous l’image que l’on retrouve deux fois dans votre film : celle de Rodrigue et Reine qui brandissent une croix de Christ en fer ? Quel pouvoir confère la religion à ce couple selon vous ?
Pour moi qui suis chrétien au même titre que mes deux protagonistes, cela symbolise beaucoup. La croix de Christ représente tout pour les chrétiens. La brandir et se prosterner à son pied, cela a une très forte signification spirituelle, un pouvoir divin. La religion confère au couple un pouvoir sacré, un pouvoir inestimable à laquelle aucune richesse ou savoir de ce monde ne peut se substituer. Dans Matthieu, 11.28, Jésus Christ a dit : « Venez à moi vous qui êtes fatigués et chargés et je vous donnerai du repos ». Rodrigue et Reine ont compris le pouvoir que renferme ce message et entreprennent la démarche de le suivre pour se défaire spirituellement de leur fardeau.
Votre film dévoile leur vie quotidienne : les rendez-vous médicaux et les prières alternent avec la vie de famille. Pourquoi vous semble-t-il important d’intégrer leurs rapports avec leurs enfants ?
Les trois enfants du couple ne sont pas étrangers aux événements malheureux qui arrivent à leurs parents. S’ils avaient été contaminés à la naissance, cela nous aurait donné un tout autre aperçu de la problématique, une vision encore plus choquante que dramatique de ce foyer, donc un autre film. Heureusement, la nature et Dieu les ont épargnés, contrairement à d’autres enfants qui n’ont pas eu cette chance. Rodrigue et Reine les perçoivent comme leur raison de vivre, un miracle qui leur est arrivé dans leur malheur. Il était donc important pour moi d’intégrer dans le film leurs rapports avec leurs enfants, qui comme la religion, constituent une échappatoire spirituelle pour le couple.
Le dernier plan où Reine avance avec Rodrigue dans le fauteuil roulant vers l’horizon est très touchant. Pourquoi avez-vous choisi de finir sur un plan de vos protagonistes, seuls dans le cadre, tournant le dos à la caméra ?
Ce plan est très symbolique pour moi. Les protagonistes tournent davantage le dos à la maladie, à leur souffrance et à la stigmatisation qu'à la caméra à vrai dire. Après la révélation de leur condition médicale, ils ne se sentaient plus eux-mêmes. Leur seul moyen pour se sentir libérés de leur fardeau était d'entreprendre la mission d’aller partout dans le monde, et prêcher l’Évangile à toute la création, comme ils l’ont appris dans le récit de l’Ascension de Jésus Christ. Ils entament ainsi dans ce dernier plan le chemin recommandé par Jésus-Christ dans la Bible. Nous étions tous très touchés de pouvoir illustrer cette conclusion par ce plan.
Propos recueillis par Taïs Aveline
Projections à Cinéma du réel
Samedi 23 mars à 13h au MK2 Beaubourg
Mardi 26 mars à 18h30 au Centre Pompidou, Cinéma 1