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Billet de blog 20 mars 2024

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Entretien avec Jules Cruveiller, réalisateur de Capture

Comment faire le récit de ce que l’on a pas connu ? Tel est le projet auquel s’attèle Jules Cruveiller en entreprenant de raconter l’histoire de Cihan, kurde qui, à ses vingt ans, fut fait prisonnier politique en Turquie. Le décalage temporel de l’image et du son entremêle les temps de l’histoire, et réactualise le récit d’une vie qui n’a plus de présent que sa mémoire.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Films Hatari

Ici, un ami s’adresse à un autre ami, et lui relate ce qu’il a vécu. Il ne s’agit pas simplement de raconter l’histoire de Cihan une nouvelle fois, mais plutôt de conter celle-ci, en invitant le spectateur dans ce subtil interstice au sein duquel s’engouffre le réalisateur. Cet espace qu’il investit par ses mots n’est autre que l’un des enjeux fondamentaux de la fiction, à savoir la façon dont se construisent les récits.

Le film propose une réflexion sur le regard qu’un cinéaste porte sur son sujet et la façon dont il n’a d’autre choix que de déconstruire son regard, au sens où l’entend Derrida, travaillant en creux le sens profond de chacune de ses propositions. Il cherche à le faire sien sans pour autant se l’approprier, afin de trouver en toute chose la transparence et la justesse. Le film donne ainsi à voir l’injustice vécue par Cihan et son incarcération abusive, puis son statut d’icône érigé par les médias, le dépossédant de son image et de son histoire. Il met en parallèle deux types d’apprentissage : celui de l’arbitraire et de l’injustice de la vie, par son protagoniste, et celui du regard porté sur son histoire, à travers les yeux du réalisateur.

Une face cachée

L’initiative du film est née de la découverte par Jules d’une face cachée de son ami : « Ma curiosité avait été piquée par le fait que, par hasard, j’avais découvert qu’il avait connu un épisode lourd qui me semblait faire un contraste important avec la vie qu’il menait en France. Il y avait un élément manquant entre ces deux Cihan : celui que je connaissais, ou croyais connaître, et celui qui avait été au cœur de cette affaire. C’est ce qui m’a poussé à lui demander de me conter son récit. » Puis, la question s’est rapidement posée de la façon dont ce récit allait prendre place : « Je cherchais un style d’écriture qui partirait de ce désir de conte : trouver un langage auquel on puisse s’accrocher tout au long du film, et qui procure un réel plaisir à l’écoute du texte. »

Temps parallèles

 « J’ai fait le choix de distinguer deux temps : le temps présent à travers l’image, celui de la vie quotidienne actuelle de Cihan, et le temps passé, auquel appartient cet épisode de sa jeunesse, par le biais du son. Cihan m’a fasciné car il faisait selon moi cohabiter ces deux récits en apparence tellement distincts et entre lesquels il y avait un grand contraste... J’ai cependant changé d’avis depuis, parce que je vois maintenant à quel point il n’y a pas tant de contraste que ça : c’est moi qui lui attribuais des considérations qui m’appartiennent, liées au fait que je n’ai pas vécu les mêmes difficultés que lui. »

D’un récit l’autre

Le film s’ouvre sur un univers bien différent de celui attendu par le spectateur, qui s’attend à recevoir un témoignage direct par le principal acteur du récit. Mais ici l’enjeu n’est pas seulement de narrer les événements vécus par Cihan, il est également de créer un nouvel espace pour lui, loin du récit intime, amical, juridique ou médiatique. Quel pourrait donc être ce nouvel espace, comment le bâtir, en définir les contours, comment l’investir en tant qu’étranger à ces événements ? À cette question, Jules répond « Je pressentais qu’il y avait là un récit qui m’intéressait et que je voulais porter à l’écran. Et je voulais aussi porter à l’écran cette démarche-là dans sa simplicité, parce que c’est ce genre de choses qui peuvent m’intéresser au cinéma : partir de gestes extrêmement simples et authentiques sur l’attention portée aux autres. »

Cette question de la forme et du ton à trouver a été la base de son travail : « Au départ, je voulais faire un film d’entretien où Cihan menait son récit face caméra, en plan fixe, afin de placer le public dans une position d’écoute : on lui conte une histoire. J’ai réinventé une forme, utilisé nos entretiens comme un travail de recherche préparatoire à l’élaboration d’un autre film que j’ai donc écrit. Cela a pris trois ans et en tout, le film s’est fait sur cinq ans. À partir du moment où j’ai réinventé cette nouvelle forme pour le film, je me suis réapproprié le sujet : Cihan était d’accord pour que je porte le film à l’écran mais il se détachait du projet en tant que tel. Là, le film est devenu l’expression de mon point de vue à moi, qui parlait de son récit mais naissait à travers le regard que je lui portais. »

Histoire individuelle et collective

Cihan est né, comme beaucoup d’autres, du mauvais côté de l’Histoire : là où la contestation ne trouve pas sa place et où la liberté de parole est toujours menacée : « Son point de vue à lui est assez désabusé. Il est révolté par ce qui lui est arrivé, il est le premier à dire que c’est loin d’être une exception. Il dit lui-même qu’il ne voit pas l’intérêt de raconter son récit. Il a beaucoup d’humour noir et un regard très lucide : il voit comment le monde fonctionne, il s’est violemment pris dans la face à ses vingt ans une leçon de vie. Par ailleurs, le temps a passé pour lui : ça fait partie des raisons pour lesquelles il n’en parle pas, c’est derrière lui. »

Propos recueillis par Auriane Lebert

Projections à Cinéma du réel

Mercredi 27 mars à 14h30 au Centre Pompidou Cinéma 1
Vendredi 29 mars à 21h au Forum des Images

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