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Comment la relation entre le personnel soignant et les animaux change-t-elle au fil du long-métrage ? Quel rôle-clé joue Maca, soignante, dans l’ évolution de cette dynamique ?
Je privilégie le terme « soignant.e » à « gardien.ne de zoo », car ces personnes s’occupent des animaux, et non simplement de la gestion du zoo. Maca a eu une influence majeure sur le film en réorientant le projet, mettant l'accent sur la relation avec l'animal, plutôt que sur une simple observation des animaux dans les zoos et centres de soin. Maca m’a parlé de ses débuts, il y a vingt ans, lorsqu’interagir avec les animaux se faisait par la peur. Les soignant.e.s utilisaient des tuyaux ou des balais pour effrayer les animaux et les pousser dans les cages. Progressivement, Maca a transformé cette approche en introduisant des pratiques plus douces, comme laisser les balais dans les cages sans les utiliser pour effrayer les animaux. Cela a permis aux animaux de s’habituer à ces objets et de les associer à des expériences positives, favorisant ainsi une relation plus respectueuse.
Le film suit une démarche instinctive et organique, où la synesthésie occupe une place centrale. En quoi les sens, et plus particulièrement l’ouïe et le toucher, sont-ils essentiels dans cette approche ?
Dans le film, des panoramiques depuis un appartement loué, avec vue sur le zoo, révèlent l’importance sensorielle des odeurs, évoquées par les voisins, tant à l’intérieur du zoo que dans les appartements du quartier. Cette dimension olfactive, que je n’avais jamais explorée, devient un moyen de déconstruire la vision occidentale centrée sur la vue, en intégrant des sens comme l’odorat, le toucher et l’ouïe.
Clemente Onelli, ancien directeur du zoo, avait écrit un texte fascinant sur l’expérience de la visite du zoo à travers les odeurs, que j’ai choisi d’inclure comme un élément narratif plutôt que sous forme de voix off, pour offrir une immersion sensorielle authentique.
Je me suis également inspirée du texte Documentary Is/Not a name de Trinh Min-Ha, qui interroge la dynamique entre gros plan et plan large. Elle remet en question l’idée selon laquelle le plan large serait plus « réel », en soulignant que le cinéaste est l’architecte de ce qu’il choisit de filmer. Le gros plan, en capturant les détails, les gestes et les subtilités du corps, notamment des mains, permet de révéler des émotions ou des intentions souvent dissimulées par l’expression faciale. Cet intérêt pour la gestuelle des mains repose sur le travail manuel, que j’explore de différentes sortes dans mon œuvre.
Dans cette même optique, j'ai consulté le documentaire Expression of Hands de Harun Farocki, qui explore l’histoire du toucher et l’usage des mains au cinéma. L’idée que les mains, en trahissant ce que le visage tente de dissimuler, révèlent des émotions et des vérités plus intimes que d’autres formes d’expression m’a profondément marquée.
Comment percevez-vous l’espace des zoos et des centres de soin ? Les zoos que vous avez filmés portent-ils l'empreinte des modèles européens ou occidentaux, et, selon vous, tendent-ils vers une gestion plus éthique ?
L’architecture des zoos m’a toujours intriguée, en particulier la manière dont les animaux sont installés dans des enclos qui recréent les habitats de leurs pays d’origine. Par exemple, des éléphants indiens résident dans un temple hindou, une réplique de leur milieu naturel. Cette approche architecturale, visant à reproduire les espaces d’origine des animaux, rappelle celle des zoos européens, comme celui de Berlin. Fondé en 1888, le zoo de Buenos Aires s'inscrit dans la continuité de ces conceptions architecturales européennes, où la représentation des animaux reflète une vision héritée d’un passé colonial. En Argentine, les zoos ont évolué vers des pratiques plus progressistes, axées sur la conservation des espèces locales. Contrairement aux zoos du Nord global, où l'exposition des animaux reste centrale, l'accent est mis sur la réintroduction des animaux dans leur milieu naturel, comme au sanctuaire de la Fundación Rewilding. De plus, certains zoos publics argentins et gratuits se distinguent des établissements privés, souvent plus commerciaux. Bien que l’influence occidentale persiste, une gestion plus éthique, centrée sur la préservation, émerge.
Propos recueillis par Milla de Bueil & William Hernandez
Le film sera projeté :
Dimanche 23 mars à 15h45 au cinéma l'Arlequin.
Mardi 25 mars à 16h au Saint-André des Arts.