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Billet de blog 20 mars 2025

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Entretien avec Pauline Rigal, réalisatrice de Mills of Time

Seuls en plein cœur d’une forêt des Cévennes, Phillip et Tristan restaurent les canaux d’irrigation de deux moulins. Un moment suspendu où est rendue sensible toute la fragilité des êtres et de la nature.

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Illustration 1
© Pauline Rigal/ Perspective films

Est-ce que vous pourriez me raconter la genèse du projet ? 

C'est venu de l'amitié avec Philip Cockle qui est le personnage principal du film. Une partie de  ma famille vit dans les Cévennes. C'est comme ça que nous nous sommes rencontrés. J'ai appris en faisant sa connaissance qu'il faisait ce travail-là depuis trente ans ; la restauration de ces canaux et ces  systèmes d'irrigation pour des moulins, des moulins qui ne tournent plus depuis des décennies. 

Et pourtant il continue de préserver le passage de l’eau, ce patrimoine immatériel, chaque année. Pour que l'eau circule, il faut que tout le béal, ce long canal, soit vidé, ce qu'on voit dans le film.  Son travail est détruit chaque année par les épisodes cévenols (1), par les orages et le passage des  sangliers. Et lui reprend inlassablement son travail et recommence sans cesse. 

Qu’alliez-vous chercher dans ces longues séquences qui durent et restent fixes ? 

Ces durées sont pensées à partir du travail de Philip. Tout a été écrit à partir de là. Tout a été chorégraphié à partir de son  travail. J’espère et je crois qu'il y a une complicité qui se crée avec le spectateur. La mise en  scène est un gage de complicité, tout le monde sent que le film est en train de se faire, et c’est  justement dans l’étirement de ces durées qu’on peut être surpris par l’accident, le rêve,  l’incertain… Raconter trente ans est impossible, alors j'ai eu envie de raconter des moments de  travail entiers, qu'on puisse voir le paysage qui se transforme aussi à travers eux. On a énormément répété avant les prises parce que nous n'avions pas la possibilité d’en  faire beaucoup. On avait des  bobines de 122 mètres. Ça fait onze minutes à peu près. On savait que telle action à tel endroit allait durer tant de temps dans ses déplacements, dans ses attentes. Ces durées étaient aussi déterminées par cette tension entre les moments de travail et les moments de repos.  

J’ai eu l’impression que le dispositif laissait beaucoup de place à l'action de la lumière, la météo, la pluie sur l’environnement … est-ce que c’était une volonté de montrer l’environnement comme quelque chose de vivant ? 

Je disais souvent que la rivière était le troisième personnage du film. Puisque tout le film a été  écrit à partir de la possibilité que tout soit détruit dans l'heure ou trois jours après par ces  épisodes cévenols qui sont dévastateurs, qui font qu'on ne peut même pas accéder en voiture à  certains endroits. Philip et Tristan sont autant dépendants de l'eau, du feu, de l'orage que  le film. Ça s'imbriquait ensemble. Durant toutes les années pendant lesquelles on a préparé le  film avec Philip, j'ai fait plusieurs allers-retours pour le voir et pour filmer. J'appelais Philip et  il me disait « Ah là, tout a été détruit, la nature reprend toujours ses droits, mais je vais  recommencer, etc. » Donc ça n'a eu de cesse de revenir dans nos échanges. Donc on a créé un orage, complètement  mis en scène, un orage qui raconte tous les autres. 

Comment avez-vous envisagé votre cadre, pensé le lien entre les sujets et l’arrière-plan ? Était-ce systématiquement en lien avec le 16mm ? 

En fait, tout le film se construit sur le hors-champ des moulins. On les voit mais on les voit peu et ils sont tout le temps dans le hors-champ. Ce lieu tout en longueur a représenté un défi pour l’image.  De la prise d'eau à ce béal qui est entre ciel et terre, on n’est ni vraiment dans le lit de la  rivière ni vraiment sur le flanc de la montagne, on est entre les deux. C’est une sorte de grande  ligne qui n’entre dans aucun cadre et je pense toujours à ces personnages inscrits sur cette ligne. J’avais en tête l'analogie de cette ligne longue de centaines de mètres avec la pellicule, les bobines. Je pensais à combien de temps il faut pour vider un mètre de béal, par exemple. Il faudra peut-être une heure. Pour le filmer, je prendrai une bobine de 122 mètres. Donc j'aurai 10 minutes de cette heure. C'est ça  qui a déterminé le cadre, c'est le 16 mm. 

Comment avez-vous envisagé la narration, pourquoi avez-vous voulu marquer un début et une fin clairs dans votre film ? 

Je ne crois pas que la fin soit si claire. Ni le début d’ailleurs. Le film commence au milieu et  finit au milieu. Le film avance comme un nuage, et on reste sur un émerveillement, sur le  fait que le cinéma dépend de la lumière. Parce que la façon d'être la plus proche du personnage et de la  réalité et de réinventer tout ça, c'était de raconter une histoire et de créer une fin. Le film raconte cette  répétition, quelque chose qui tient un peu de Don Quichotte. Plus largement, je pense que c'était un prétexte aussi pour raconter l'âge d'un homme, qui avance comme ça dans le temps et comment les choses se transmettent de lui à un personnage plus jeune, sans parler. Tout était une façon de raconter  une histoire à partir de ses répétitions et ses suspensions. Je voulais absolument que le récit soit écrit du début à la fin.

Pourquoi avez-vous choisi d'évacuer la parole, hormis cette chanson dans une langue un peu oubliée ?  

L'Occitan. Parce que quand deux personnes sont proches, elles ne parlent pas forcément. On  peut chanter, on peut pleurer ensemble. Et donc le chant arrive au milieu du film. Il  arrive au milieu, parce qu'ils pourraient faire ça depuis vingt ans ensemble. Ça pourrait se passer dans les années soixante ou maintenant. Et puis le chant, c'est comme un chant intérieur pour se consoler et faire passer l'orage. C'est une façon de se bercer ensemble. Ils savent qu'ils peuvent rester longtemps dans le moulin. Alors ils chantent pour faire passer l'orage et pour se consoler. 

Comment avez-vous envisagé le son dans votre film, notamment le fait qu'on entende toujours la rivière même si on ne la voit pas ? 

Le son de la rivière donne un indice de l'espace. Il m'a fallu vraiment beaucoup de temps pour  me rendre compte de la géographie de cet espace-là. La rivière était toujours le guide. Parce  que si j'entendais la rivière, je savais à peu près où on était, de quel côté de la montagne elle  était. Elle structure le lieu et elle structure cette avancée qu'on fait nous aussi dans sa découverte. 

Philip me disait que le destin des pierres de la montagne sur des millions d’années était de  passer par la rivière pour arriver jusqu’à la mer. Une autre ligne de temps du film. Donc on doit l'entendre, on doit entendre si on est plus ou moins proche, si on s'en éloigne. Elle vient se mêler à tout ce qui se passe. 

1- Orages intenses accompagnés de pluies qui affectent régulièrement le massif des Cévennes entre les mois de septembre et de décembre. L'équivalent de plusieurs mois de précipitations tombe alors en quelques heures ou quelques jours, donnant naissance à des crues soudaines.

Propos recueillis par Charlie Nguyen Dai

Le film sera projeté le :

Samedi 22 mars à 13h30 au cinéma Reflet Médicis.

Mercredi 26 mars au cinéma l'Arlequin.

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