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Billet de blog 20 mars 2025

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Noëlle Pujol, réalisatrice de Regarde avec mes yeux et donne moi les tiens

Jadis, Georges Braque peignait ici ses toiles cubistes, ses fauves esquisses. Sa maison abandonnée semble une jungle chaotique, faite de décombres et de vestiges humains. Noëlle Pujol, proche des démarches de l’art contemporain, offre avec Regarde avec mes yeux et donne-moi les tiens, un film gracile, à fleur de corps, dans lequel la caméra est plus que jamais le prolongement de notre regard.

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Illustration 1
© Noëlle Pujol

Ce n’est pas la première fois que vous présentez un film à Cinéma du réel, vous y avez présenté également Alle Kinder bis auf eines, Le Dossier 332, Les Lettres de Didier. Quel part prend le festival dans votre parcours ?

Noëlle Pujol : Le festival du Cinéma du réel me permet de donner des nouvelles de mon cinéma sous toutes ses formes.


Vous faites un film autour de la figure fantomatique de Georges Braque. Quel est votre rapport au peintre, d’où est venue l’envie de faire ce film ?

Je découvre le village de Varengeville, situé sur la Côte d’Albâtre où de nombreux peintres, écrivains, musiciens ont séjourné. André Breton écrit Nadja au Manoir d’Ango. En 1930, Georges Braque fait construire par son ami architecte Paul Nelson sa maison et son atelier. C’est le climat particulier de ce lieu entouré d’énigmes, d’histoires artistiques et politiques, qui m’ont fait revenir dans ce village, qui m’ont captivée grâce à la peinture et les réflexions de Georges Braque. Il affirmait qu’il n’entendait pas peindre les choses, mais ce qu’il y avait entre les choses, dans l’intervalle. Avec surprise, je m’imprègne de son travail pour composer les mises en scène d’objets pour le travail préparatoire de Boum ! Boum ! [son long-métrage en développement ] Pour revenir à votre question, c’est l’oiseau aux yeux ronds qui m’a décidée à faire ce film.


Au seuil du film, par le titre, vous installez un point de vue subjectif. Cela vous paraissait évident dès la conception ?

Je n’en avais pas encore conscience au moment du tournage. Et pourtant, il y avait la rencontre inattendue avec l’oiseau. C’est à la fin du montage avec Claire Atherton que j’ai cherché un titre au film. Je suis allée le cueillir comme par magie, dans Partition rouge, un livre de poèmes chantés et contés par les Indiens d’Amérique du Nord, traduits par Florence Delay et Jacques Roubaud.


La forme du film est assez radicale. Pas de voix off, une caméra qui avance lentement, de longs plans fixes. Qu’est-ce qui vous a amenée à effectuer ce choix de mise en scène ?

Je découvrais à ce moment-là le « shintaido », un art martial qui s’inscrit dans la tradition des arts martiaux japonais. J’ai mis en pratique intuitivement et avec beaucoup de liberté les gestes transmis : je serre ma photo-caméra en prolongement de mes mains ouvertes, mes bras sont tendus, je me déplace en suivant mon corps dans cet espace buissonnant…


Votre évocation du peintre est originale, vous prenez le pari d’explorer les lieux abandonnés, déliquescents de la création, des vestiges d’une humanité noyée dans une nature souveraine.  Dans ce chaos, ces débris, il y a beaucoup de poésie, on peut même retrouver le Braque cubiste dans ces enchevêtrements détruits. Est-ce cette idée qui vous a séduite ?

Dans les œuvres cubistes, il n’y a pas de résolution, ni de fin, et d’ailleurs pas de début. J’ai tout de suite eu le sentiment que la nature poursuivait le travail du peintre, qu’elle poussait jusqu’aux limites de tout ce qu’il n’était pas possible de faire. Ce lieu vivant s’est adressé à moi comme une œuvre qui me prend par surprise (...) Ce lieu m’a enchantée et m’a apprivoisée, je me suis sentie progressivement accueillie.


La nature a repris ses droits, comme l’oiseau imperturbable, sorte d’apparition fantastique, veille sur ce lieu, telle une réincarnation de son illustre propriétaire. On pense au château de la Belle au bois dormant envahi par les ronces, à la forêt vivante de Blanche-Neige. Regarde avec mes yeux et donne-moi les tiens, c’est un conte contemporain ?

J’aime vivre entre deux mondes (ou plus) et passer de l’un à l’autre.

Georges Braque écrit : « Il faut se contenter de découvrir mais se garder d’expliquer, c’est l’imprévisible qui crée l'événement. »


Quelles sont les œuvres qui ont inspiré le film dans sa forme, dans son univers plastique ?

Les mots et les photographies du Journal (1979-1983) d’Alix Cléo Roubaud m’ont accompagnée. C’est le grand miroir carré accroché dans la dépendance du jardinier qui a été le déclencheur. Je pose en une série d’autoportraits photographiques en miroir. Comme si cette pause enchantée me permettait par sa simplicité d’être entre un monde et un autre.

Vous travaillez régulièrement avec la monteuse Claire Atherton, aussi célèbre pour avoir été celle de Chantal Akerman. Les longs plans fixes, la proximité avec le milieu de l’art contemporain, elle exposait, vous aussi, il y a beaucoup de choses que vous avez en commun. C’est une cinéaste qui a compté pour vous ? 

C’est par la voix de Christian Boltanski à la radio au début des années 90, que j’entends parler du cinéma de Chantal Akerman, Histoires d’Amérique, Un jour Pina a demandé… Il faudra que j’attende encore quelques mois à mon entrée à la fac du Mirail à Toulouse pour découvrir Nuit et Jour sur cassette VHS, puis ses écrits Une famille à Bruxelles, Hall de Nuit… Ce qui compte pour moi à ce moment-là, et encore maintenant, c’est que Chantal Akerman écrit, filme, chante… Elle ne cesse de se renouveler. Mes longs plans fixes viennent de mon enfance et de mon adolescence à Saint-Girons, une petite ville rurale aux pieds des Pyrénées. Le rapport de Chantal Akerman aux temps et aux histoires, l’attention aux détails m’ont imprégnée.

Quels sont vos projets en cours ?

Un film de fiction, Boum ! Boum ! ancré au cœur des Puces de Saint-Ouen aux portes de Paris, doublé d’une bande dessinée éponyme, chiffonnière, poétique, peuplée de personnages loufoques que je suis en train de scénariser et de dessiner.


Propos recueillis par Lou Leoty


Le film sera projeté :

Dimanche 23 mars à 18h30 au cinéma l'Arlequin.

Mardi 25 mars à 13h30 au cinéma Saint-André des Arts.

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