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Billet de blog 21 mars 2024

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Entretien avec Florence Lazar, réalisatrice de Sous les feuilles

En Martinique un cimetière d’esclavisés a ressurgi. A l’hôpital psychiatrique se formule l’idée d’associer ce dernier à un démarche thérapeutique. Le film entremêle la parole des vivants, le soin des corps, l’empreinte coloniale et le récit des plantes. « Prenons le temps d’écouter les arbres, ils ont des choses à nous dire ».

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Sister Productions

Comment vous est venue l’envie de faire ce film ? Pourquoi en Martinique ? 

Sous les feuilles / Anba Fey s’inscrit dans la continuité de mon film précédent : Tu crois que la terre est chose morte (2019).
C’est après avoir travaillé sur l’héritage d’Aimé Césaire avec une commande publique que j’ai voulu approfondir ce sujet. Par là j’ai commencé à m’intéresser à l’intrication entre le politique et le végétal.
Tu crois… se construisait déjà autour des sols de la Martinique : ceux quadrillés par les plantations coloniales, des bananeraies destinées à l’exportation, violemment polluées par la chlordécone. Mais aussi autour de sols qui devenaient supports de démarches alternatives visant à contrer cette destruction environnementale à partir de pratiques et transmissions de savoirs ancestraux.
Sous les feuilles/ Anba Fey regarde un lieu particulier : Anse Bellay, un cimetière d’esclavisés, ayant resurgi après le passage du cyclone Dean en 2007. Le site porte la trace des corps enfouis dans son sous-sol. Après les fouilles archéologiques, un collectif de riverains et riveraines s'est rassemblé pour demander le retour de ces ossements sur le site funéraire.
Depuis, le lieu crée une sorte d’affluence : entre les groupes qui s’y rendent, ce qu’ils y projettent, les perspectives de soin qu’il ouvre. On y retrouve des personnages du film précédent, convoqués dans d’autres espaces de l’intime.


Le titre du film est de prime abord énigmatique, mais son sens se dévoile petit à petit dans le film…
Comment qualifiez-vous votre démarche documentaire : comme une enquête, un glanage ? 


L’enquête fait partie de mon processus de travail. Mais avec ce film je me suis plutôt laissée prendre par les événements. Certains obstacles rencontrés ont été bénéfiques puisque cela m’a poussé à questionner les formes du récit et à donner la place à d’autres registres de parole, comme le poème performé. Ce poème nous parvient à travers l’histoire du voyage d’une graine qui a germé et poussé à Anse Bellay, sur le cimetière même. Cette histoire nous donne accès à ce lieu. L’arbre devient un témoin de l’histoire.
Le film résonne avec ce poème, mais c’est aussi la partie invisibilisée d’une pratique culturelle de soins. Emmanuel Nossin, ethno-pharmacologue parle dans le film «de plantes pièges que les grands-parents nous ont laissé, comme le cassé coutelas, appartenant à une divinité, et qu’ils avaient autour de leur maison pour se protéger.» Les plantes sont porteuses de messages. Elles sont les intercesseuses entre les vivants et les morts, les ancêtres et les invisibles.
Le film tente de parcourir ces lignes du dessous.


Il évoque la présence des invisibles.

Oui, le film en est traversé. C’est peut-être le lieu des résistances à l’histoire coloniale.


Je pense à la séquence où l’on peut voir la lumière du soleil se mouvoir étrangement sur le sol à travers les feuillages, à ces plans où l’on peut sentir la présence des invisibles. Cherchez-vous à filmer des lieux invisibles, des lieux en puissance ?

J’ai cherché à travailler à la matérialité des invisibles ! Le montage du film a participé à cette recherche, d’ailleurs le propre du montage est de rendre visible ce qui à priori ne l’est pas.


Pouvez-vous nous parler de vos choix techniques ? Notamment de l’utilisation du 4:3.

Ce format, c’est une façon de concentrer le regard, il favorise la profondeur plutôt que l’étendue. Il invite à aller chercher les fonds, les reliefs de lumière. Il incite l’œil à creuser l’espace. Ce format est plus du côté du milieu que du paysage. D’ailleurs en créole le terme de paysage n’existe pas, on parle plutôt d’« alentour », c’est un ensemble d’interactions. La notion de paysage est une invention liée à l’histoire de la peinture européenne et à la définition d’un regard contemplatif…. On sait ce que ce regard a produit aux Antilles…


Sont évoqués deux paradigmes de soins (médecine occidentale contemporaine et techniques de soin traditionnels), mais vous ne les mettez pas en opposition, il y a des dialogues, ils sont opposés, mais pas en confrontation. 

Oui c’est vrai, dans le film il y a une tentative de penser l’intégration des pratiques tradi-thérapeuthe avec la médecine conventionnelle. Emmanuel Nossin est pharmacien aussi. Il mène une formation à l’hôpital psychiatrique auprès du personnel soignant. D’ailleurs il dit que quand on soigne la personne, on soigne l’ensemble du groupe.


Propos recueillis par David Hubaud

Projections à Cinéma du réel

Samedi 23 mars à 21h au  Forum des Images
Lundi 25 mars à 15h  au Centre Pompidou, Cinéma 1

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