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Qu’est-ce qui a inspiré votre film et comment le projet a-t-il évolué ?
Daphne Xu : Le point de départ remonte à un atelier auquel j’ai participé au printemps dernier. Lors d’une visite d’un village flottant près de Siem Reap, je suis tombée sur un élevage de crocodiles : des dizaines d’yeux brillants dans l’obscurité, des œufs et des nouveau-nés dans des bassines en plastique. Cette image d’un cycle de vie entier suspendu sur l’eau m’a hantée. Peu après, j’ai fait un lien avec Notes of a Crocodile de Qiu Miaojin (1), dont les figures de crocodiles symbolisent l’identité queer sous contrainte sociale. Mon film n’en est pas une adaptation, mais l’influence de cette œuvre est présente dans l’exploration du désir et de l’altérité.
Comment avez-vous construit votre récit ?
J’ai imaginé une femme chinoise en quête d’un ancien amour à Phnom Penh. Son parcours la mène sur Diamond Island, un territoire en mutation sous l’effet des investissements chinois, avant une rencontre énigmatique avec un crocodile en ville. Faute de temps pour un scénario figé, j’ai privilégié un cadre narratif souple, évoluant au gré du tournage et du montage.
Comment avez-vous travaillé l’écriture du film ?
Le texte en voix off provient de mes propres notes, souvent rédigées à demi-endormie. Certains passages sont des souvenirs réels, d’autres des impressions fugaces. J’aime que les mots créent une friction avec les images, ouvrant de nouveaux espaces de sens.
Quel matériel avez-vous utilisé pour filmer ?
J’ai principalement tourné avec mon iPhone 12, enregistrant le son sur un Sony PCM-M10 dissimulé dans ma poche. L’enregistrement audio de l’iPhone était de qualité médiocre, ce qui a nécessité un travail de réenregistrement en postproduction.
Pourquoi ce choix du tournage à main levée ?
Tourner avec un iPhone m’a offert une liberté totale. Cette caméra discrète me permettait de capturer des instants spontanés sans intimider les gens. Le rendu, à la fois brut et immédiat, confère au film une subjectivité propre, une sensation de quête perpétuelle.
Qu’en est-il des lieux de tournage ?
Je les ai trouvés en marchant, caméra à la main. Un moment marquant a été ma rencontre avec Lou Ye, l’un de mes cinéastes préférés, lors d’une croisière sur le Mékong. Inspirée par son court In Shanghai, j’ai commencé à filmer dès le lendemain matin sur les rives du fleuve. J’ai cherché des espaces hybrides entre nature et urbanisme, laissant aussi une part au hasard et aux rencontres locales.
Comment avez-vous pensé l’espace hors-champ ?
L’image oscille entre immersion et distanciation : la basse résolution de l’iPhone et les gros plans désorientent, tandis que l’absence d’éléments explicatifs force le spectateur à remplir les vides. Mon intention était de créer un film ressenti plutôt que simplement compris, dans l’esprit des réflexions de Trinh T. Minh-ha sur la narration et le vide.
Le montage a-t-il joué un rôle clé dans la construction du film ?
Absolument. J’ai alterné tournage, montage et écriture, laissant place à l’incertitude. Cette méthode itérative permet à des significations imprévues d’émerger, ce que je trouve très stimulant.
- Roman taïwanais paru en 1994.
Propos recueillis par Margot Legrand
Le film sera projeté :
lundi 24 mars à 18h30 à l'Arlequin
vendredi 28 mars à 16h45 au Saint André des Arts 3