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Comment as-tu rencontré Jacques Nolot ? Pour quelles raisons as-tu décidé de le filmer ?
Maxence Vassilyevitch : C’est tout d’abord un geste d’amitié. Je connais Jacques depuis presque 10 ans, je l’ai rencontré grâce à l’actrice Nathalie Richard. Il a été une rencontre déterminante dans ma vie, et j’ai eu la chance qu’il accepte de tourner dans deux de mes films. Nous sommes ensuite devenus amis. Jacques est une personne qu’on a constamment envie de filmer de par sa vivacité d’esprit et de parole. On est absorbé par ses récits. Il utilise la réalité comme une véritable source de dramaturgie. Bien sûr, c’est toujours difficile de filmer une personne que l’on aime et que l’on respecte, de trouver la bonne distance, le point de vue le plus juste qui cristallise la relation. Mais très vite, les choses sont arrivées d'elles-mêmes.
Comment s’est déroulé le tournage ?
C’est un film qui s’est tourné en quelques jours, dans un seul et même élan. Nous étions trois, dans une forme d’intimité totale : moi au son et ma compagne Anaïs Ruales Borja, cheffe opératrice, à la caméra. Il y avait une confiance forte entre nous, Jacques me posait très peu de questions sur la manière dont j’envisageais de le filmer.
Comment as-tu conçu ce portrait ?
Je n’avais pas envie de construire un récit de vie exhaustif qui rende compte de sa carrière. On ne voit pratiquement aucun extrait de ses films, excepté Manège (1986), son premier court-métrage, qui s’entrelace avec la réalité comme une réminiscence. Je voulais que ses films se ressentent plus qu’ils se voient, trouver un moyen pour que Jacques puisse exister, se sentir libre dans mon regard. J’avais en tête les portraits de Laurent Achard sur Paul Vecchiali, et Jean-François Stévenin que j’aime beaucoup. Je voulais très peu d’interviews, très peu d’explications.
J’ai réfléchi à un dispositif simple autour d’une journée, du réveil jusqu’à l’endormissement, principalement des plans fixes, pour que ses gestes du quotidien deviennent matière de cinéma, et que sa pensée jaillisse à travers la voix off, comme une parole intérieure. Je suis déjà mort trois fois est un film sur la mémoire, qu’on repense, qu’on (re)fabrique, et qu’on rejoue par moment. Je souhaitais en premier lieu qu’il me parle de lui, de son histoire, de ses rencontres. C’est aussi un film sur l’enfermement, avec pour décor principal son appartement, le même que dans son dernier film Avant que j’oublie (2007) tourné il y a bientôt vingt ans : un appartement en déliquescence, qui n’a pas été refait depuis, et qui porte à la fois les traces du temps, mais aussi de la réalité du quotidien d’un homme de quatre-vingts ans.
Les films Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles, et Je, tu, il, elle, me sont ainsi apparus comme des références, dans la manière dont Chantal Akerman filme les corps sans chercher ni à les sublimer ni les abîmer. Elle prête attention aux moindres détails. Ces obsessions, ces petits gestes qui se répètent éclairent le personnage de Jacques. Il se raconte ainsi dans les questions que je ne lui pose pas. Il amène le récit ailleurs.
Je suis déjà mort trois fois ne contient pas de musique, était-ce un choix artistique ?
L’un de mes objectifs était de faire ressentir la présence de Jacques, par moment très vivante et parfois fantomatique. Au montage, c’était important pour moi de garder cet aspect brut, pour mettre en valeur sa voix, sa prononciation particulière, ses expirations, ses bruits de bouche, mais aussi ses silences, tout ce qui le définit à travers les sons, comme une vraie composition musicale.
Quelque chose que tu aimerais ajouter ?
Je repense à La Naissance de l’Odyssée de Jean Giono. Pour lui, l’Odyssée naît du mensonge d’Ulysse à son retour d’Ithaque après dix ans d’absence. Ulysse prend un malin plaisir à raconter ses histoires, on ne sait jamais vraiment si ces dernières sont vraies, mais elles sont tellement bien racontées, qu’on prend toujours autant de plaisir à les écouter. La question de la véracité ne se pose donc plus. Il y a chez Jacques cette importance du récit. Tout événement est prétexte à fiction. Et en cela, c’est un peu un Ulysse pour moi.
Propos recueillis par Maëlle d’Anterroches
Le film sera projeté :
lundi 24 mars 18h30 à l'Arlequin
vendredi 28 mars 16h45 au Saint André des Arts 3