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Pourquoi avoir choisi de faire un film sur cette région en particulier?
J’ai tourné à la frontière entre le Canada et Détroit. Je m’étais rendu là-bas pour un festival et j’y suis finalement resté une semaine de plus.
J’ai d’abord été intrigué par la forme que prenait cette région sur la carte, une sorte de courbe qui relie Windsor à Détroit. Puis, j’ai été saisi par le contraste entre ville et nature qui caractérise cette région. Il y a aussi tout l’héritage culturel de cet endroit, notamment celui de Détroit qui était qualifiée de « motor city » (ndlr : en référence à l’époque industrielle de la ville).
Je crois finalement ne pas avoir suivi l’idée de départ. Ce qui m’a intéressé c’est la tension entre des gens pour qui cet endroit est celui où ils doivent réussir à trouver du travail, et ceux pour qui l’enjeu est de préserver l’environnement naturel de la région. La question raciale m’a aussi beaucoup touché. À Détroit, il y a une grande communauté afro-américaine. C’est une situation très différente de celle que nous vivons en Argentine. J’ai donc voulu réunir tous ces enjeux et les superposer.
Comment avez-vous procédé pour enregistrer les sons que l’on entend et qui donnent au film toute son identité ?
Il y a une partie des sons que j’ai enregistrés moi-même. Pour les autres, j’ai fait un travail de recherche. Je les ai trouvés sur Internet. Il y a des sons de journaux télé, des archives, des enregistrements personnels… L’université de Windsor, au Canada, m’a fourni un enregistrement où l’on entend le sifflement du vent de Windsor et je l’ai amplifié.
J’ai récupéré des sons de différentes époques. Les plus anciens enregistrements que j’ai utilisés datent de 1967. Cette année-là, il y avait eu des émeutes sanglantes à Détroit. Les sons dont je me suis servi ont tous été enregistrés entre 1967 et aujourd’hui. J’ai essayé de les mettre sur un même plan, de créer une forme de linéarité. On peut se rendre compte qu’en réalité, malgré le temps qui passe, c’est presque toujours la même chose.
Comment vous est venue l’idée d’utiliser des techniques comme l’impression optique ?
Il y a une théorie psychanalytique de Lacan dans laquelle je me reconnais assez : l’après-coup. C'est l'idée que ce n'est qu'une fois qu’on a achevé une chose qu’on peut se retourner, la regarder, et comprendre ce qu’on a fait et pourquoi on l’a fait ; même si sur le moment on n’en avait aucune idée. Je crois que pour le choix des techniques utilisées dans mon film, ça s’est passé un petit peu comme ça.
Au début, je ne sais pas quoi faire. Alors je commence simplement à filmer une image. C’est ensuite en travaillant l’image, avec le son, que je commence à comprendre ce que je fais.
Quand je filme je suis à la recherche de choses insaisissables, physiques.
Les images que vous filmez, les pensez-vous en termes symboliques?
Non. Je voulais que regarder ce film soit comme lire une actualité dans un journal. Je ne suis pas à la recherche de symboles, mais il peut s’avérer qu’il y en ait quand même. Les spectateurs peuvent créer leurs propres associations d’idées. Pour ma part, ma démarche n’était pas de créer une forme poétique.
À la fin, on voit des gens travailler. Là, on peut peut-être y trouver une forme de symbole. Celui de ces gens qui s’affairent dans l’ombre.
Pour faire ces images, étiez-vous seul ou aviez-vous une équipe de tournage ?
Non, j’ai tout fait seul. La plupart du temps, je n’ai pas de projet prédéfini. Comme je n’ai pas de projet, je n’ai pas vraiment de budget pour payer des amis pour tourner avec moi avant de commencer. Ce n’est qu’une fois que j’ai trouvé des fonds que je peux faire appel à des gens.
En faisant votre film, est-ce que vous pensiez à sa réception et est-ce que cela a influencé votre processus créatif ?
J’ai beaucoup de fantômes à partir desquels je construis ma propre idée de qui seront les spectateurs, de la réception. Le plus important selon moi est de respecter ceux qui verront le film, ce qui implique de ne pas les sous-estimer.
Votre film est souvent qualifié de politique, était-ce votre objectif ?
Je ne crois pas avoir eu d’objectifs clairs pour ce film ; je n’essaye pas de dire quelque chose ou de donner une solution. Je pense que tous les films sont politiques mais ce n’est pas ce qui m'intéresse. Mes précédents projets avaient une dimension politique beaucoup plus nette et volontaire, maintenant c’est derrière moi. J’aime vraiment l’idée que ce documentaire-ci soit comme un journal d’actualité qu’on lit et qui nous met en relation avec le moment présent, ce qui est d’une certaine façon politique.
À la fin, on entend des gens rire et chanter, diriez-vous qu’il y a une forme d’optimisme dans votre travail ?
Oui, d’une certaine façon. Ce moment de joie est simplement apparu. J’ai enregistré ces gens en train de faire la fête au Canada, à Windsor. Il y avait une grande mixité, ça m’a beaucoup plu. Quelqu'un dit « nous pouvons mettre fin à la violence », j’aime cette phrase et je crois en effet qu’elle est porteuse d’une forme d’espoir.
Propos recueillis par Thelma Bergman
Film projeté le Samedi 25 Mars à 16h au Forum des images et le Lundi 27 Mars à 14h30 au Centre Pompidou (C1)