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Billet de blog 23 mars 2025

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Entretien avec Binyu Wang, réalisateur de About the pink cocoon

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Binyu Wang

Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours en tant que documentariste ?

Ce court-métrage marque ma première incursion dans le domaine du documentaire. Je suis né en 1998 à Wenzhou, dans la province du Zhejiang en Chine. J’ai d’abord étudié la photographie, une discipline qui m’a permis de développer un œil attentif aux détails visuels et à la composition. C’est au cours de mon master à l’Académie des beaux-arts de Chine que je me suis véritablement tourné vers le documentaire. Mon intérêt pour ce genre s’est renforcé grâce au West Lake International Documentary Festival, organisé par mon professeur Du Haibin, qui m’a ouvert les portes sur un univers cinématographique riche et varié. Pendant la pandémie, isolée et en quête de sens, j’ai visionné de nombreux documentaires et organisé des projections qui m’ont permis de comprendre le pouvoir de la narration visuelle pour exprimer des vérités personnelles et collectives. Cette période m’a également permis de découvrir des réalisateurs de renom comme Wang Bing ou Yuan Yinan, dont les œuvres m’ont profondément marqué et m’ont encouragé à réaliser mes propres films en adoptant une approche introspective et engagée.

Qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser ce film et quelles ont été les étapes clés de sa conception ?

Le projet a débuté de façon presque fortuite lors de mon projet de fin d’études en 2022. Initialement, je me suis concentrée sur ma mère, filmant son quotidien sans objectif précis, simplement pour immortaliser des moments de vie. Très vite, j’ai pris conscience des dynamiques familiales complexes qui se jouaient autour de moi. La caméra, en devenant un témoin silencieux, a permis d’extraire des vérités souvent enfouies dans la routine familiale. Au fil du tournage, ma famille s’est habituée à ma présence, ce qui a instauré une atmosphère de confiance et d’authenticité. Toutefois, lors du montage, il m’est apparu que le récit était trop vaste pour être traité dans un long-métrage cohérent. Mon producteur, Chen Xiaoran, m’a alors conseillé de recentrer le propos sur ma deuxième sœur. En effet, son histoire, marquée par une invisibilisation au sein d’un système patriarcal, illustrait de manière saisissante la préférence pour les garçons à Wenzhou. La redécouverte d’un vieil album familial, réalisé lors de mes études en photographie, fut un déclic supplémentaire : j’y constatai que mes sœurs apparaissaient bien moins que moi, et en particulier, que ma deuxième sœur semblait reléguée à l’arrière-plan de notre histoire familiale. Cette constatation a nourri ma réflexion sur l’effacement des figures féminines et a guidé le montage vers une narration plus ciblée, permettant d’entrelacer souvenirs, images fixes et témoignages pour créer un dialogue entre passé et présent.

Quelles ont été les principales difficultés rencontrées lors du tournage ?

Filmer en solitaire impose des contraintes multiples, tant sur le plan technique que narratif. Dans un environnement aussi intime que la chambre d’hôpital, chaque instant compte et il faut choisir avec rapidité quelles scènes filmer. Cette nécessité de faire des choix rapides se heurte parfois à l’impossibilité de saisir simultanément plusieurs événements se déroulant en parallèle. Par ailleurs, mon double rôle de réalisateur et de membre de la famille a engendré une tension constante : comment observer et documenter sans interférer, tout en restant proche des personnes concernées ? Ce dilemme m’a obligé à une remise en question permanente de ma posture, entre implication émotionnelle et prise de distance critique. En outre, la post-production a constitué un véritable défi. Le design sonore, par exemple, a nécessité de longues séances de travail avec un étudiant en cinéma pour aboutir à une ambiance qui traduise à la fois la tension et la douceur des moments filmés. La traduction des dialogues, enregistrés en dialecte de Wenzhou, a aussi posé problème, car elle a exigé une double transcription – d’abord en mandarin puis en anglais et en français – afin de préserver l’authenticité des propos et des émotions.

Votre film aborde différentes formes de violence. Pourquoi ce choix thématique ?

Dès mon plus jeune âge, j’ai été confronté à l’oppression silencieuse qui pèse sur les femmes de ma famille. J’ai constaté que, dans notre environnement, j’avais bénéficié d’un traitement préférentiel, tandis que mes sœurs étaient souvent reléguées à des rôles secondaires, voire invisibles. Ma mère et ma grand-mère, issues d’un système patriarcal rigide, semblaient perpétuer sans le vouloir des normes qui favorisent les garçons. La salle d’accouchement, lieu central du film, incarne ce paradoxe : elle symbolise à la fois le miracle de la vie et la pression sociale qui en découle, imposant un cadre strict aux femmes. En abordant ces violences, je souhaitais mettre en lumière non seulement la souffrance individuelle, mais aussi la violence structurelle qui se transmet de génération en génération. Le film se fait ainsi l’écho des luttes silencieuses de nombreuses femmes chinoises, tout en interrogeant les mécanismes de l’effacement et de l’injustice qui perdurent dans nos sociétés.

Pourquoi avoir opté pour une mise en scène mêlant tension et douceur ?

Mon approche visuelle et sonore vise à créer une atmosphère où se conjuguent à la fois la sacralité et la douleur. J’ai choisi des teintes de rose pour symboliser la douceur, l’enfermement et l’intimité de l’univers féminin, tout en utilisant des nuances de vert pour évoquer la nature, la mélancolie et la possibilité de renouveau. Ce contraste, renforcé par des éléments sonores – le battement du cœur du fœtus, le murmure du vent, le bruit de la pluie – permet de plonger le spectateur dans une expérience sensorielle où le tangible et l’intangible se rejoignent. Inspirée par mon expérience en photographie, j’ai recours à des techniques de collage et de superposition d’images pour créer une narration non linéaire, où le passé se mêle au présent de manière fluide. Ainsi, chaque image, chaque son, devient porteur d’un message émotionnel, invitant à la réflexion sur la manière dont les souvenirs et les traumatismes s’entrelacent dans la mémoire collective.

Comment avez-vous géré l’aspect émotionnel et éthique du tournage ?

Filmer des proches et mettre en lumière des souvenirs douloureux soulève inévitablement des questions éthiques. Avant chaque séance de tournage, j’ai pris soin de préparer mes interlocuteurs, expliquant le projet et les objectifs du documentaire, afin de créer un climat de confiance et d’authenticité. Lors de la projection du film lors du Nouvel An chinois, les réactions ont été loin d’être négatives : elles ont ouvert la voie à des discussions constructives et à une meilleure compréhension mutuelle au sein de la famille. Ce dialogue a permis d’aborder des sujets souvent tus, de libérer des ressentiments enfouis et d’envisager des pistes de réconciliation. Personnellement, revisiter ces moments et retracer les blessures du passé a été une expérience intense, mêlant douleur et espoir. Ce cheminement introspectif m’a non seulement aidé à mieux comprendre mes propres émotions, mais a également offert aux membres de ma famille l’opportunité de confronter leurs vécus et, peut-être, d’envisager un avenir différent.

Pourquoi le titre About the Pink Cocoon ?

Le titre du film est volontairement polysémique et porte plusieurs sens. D’un côté, il fait référence à l’utérus, ce lieu intime et sacré où la vie prend forme. D’un autre, il évoque la salle d’accouchement, dont la dominante de rose symbolise à la fois douceur et enfermement. Enfin, il suggère l’idée d’une prison mentale, celle dans laquelle les femmes se trouvent souvent enfermées par des normes et des souvenirs oppressifs. Le cadre noir qui entoure le film renforce cette notion de limite imposée par un système social patriarcal, tout en laissant entrevoir la possibilité d’un renouveau et d’une libération des schémas traditionnels.

Pour conclure…

Ce documentaire se présente comme une œuvre personnelle et collective, une tentative de donner une voix aux silences et aux non-dits qui traversent plusieurs générations. En mêlant archives visuelles, témoignages intimes et une esthétique sonore travaillée, j’ai cherché à offrir au spectateur une immersion dans une réalité complexe où se confrontent souvenirs douloureux et espoirs d’avenir. Mon objectif était de susciter une réflexion sur les dynamiques familiales, les inégalités de genre et l’impact des traditions sur la vie des femmes, tout en ouvrant la porte à un dialogue renouvelé entre passé et présent. Ce film est avant tout une invitation à repenser les liens qui nous unissent et à envisager la possibilité d’un changement, petit à petit, pour libérer la parole et redéfinir les contours de notre identité collective.

Propos recueillis par Qingwen Lin et Boris Voisin.

Le film sera projeté : 

samedi 22 mars 17h30 au Saint André des Arts 3

mardi 25 mars à 14h à l'Arlequin 1

jeudi 27 mars à 19h à la Bulac

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