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Billet de blog 23 mars 2025

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Entretien avec Ico Costa, réalisateur de Balane 3

Dans Balane 3, Ico Costa filme une journée dans le quartier éponyme d’Inhambane, au Mozambique. Là, entre hommes et femmes, jeunes et vieux, perce une joie essentielle, qui ne cesse de surprendre le cinéaste.

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Illustration 1
© Ico Costa/ Terratreme Filmes/ La Belle Affaire/ Oublaum Filmes

Pourriez-vous revenir sur votre lien particulier avec le Mozambique ?  

Ico Costa : Je vais au Mozambique depuis 2010, j’ai été là-bas grâce à une bourse pour jeunes  artistes. J’y ai vécu pendant dix mois, pendant lesquels j’ai créé des liens, puis je suis  revenu en 2015 pour réaliser un court-métrage (Nyo Vweta Nafta). Depuis, j’y vais presque tous les deux ans ; en 2019, j’étais à nouveau là-bas pour préparer L’Or  et le Monde. C’est pendant la préparation de ce film que j’ai pensé à faire ce  documentaire. 

Qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser ce film ? 

Balane 3, c’est un quartier que j’aime beaucoup ; où j’ai plusieurs amis. Ce film, c’est un  portrait du quartier en fragments. La caméra est fixe, et les habitants circulent librement  dans le cadre. 

Vous dites à propos du film : « L’Afrique n’est pas que ce qu’on voit à la  télévision ». Votre volonté, avec ces fragments majoritairement fixes, est-elle  d’éviter une exotisation ? 

En disant cela, je pensais plutôt aux images de la pauvreté. Chaque fois que je vais au Mozambique, je vois qu’ils sont aussi très joyeux, et je voulais montrer ça : comment ils parlent d’amour, de sexe, leurs danses, etc... Nous avons commencé à tourner en 2019, mais le coronavirus a suspendu le montage. Depuis la Covid-19, le Mozambique traverse une crise économique et politique, alors ce film peut paraître daté d’une certaine façon. Mes amis là-bas souffrent de cette situation, et, pourtant, même maintenant, ils continuent à chanter, danser.  

Pourquoi avoir choisi de tourner en pellicule ? 

C’est une certaine discipline : une façon pour moi de ne pas trop filmer et de me pousser à moins vouloir tout contrôler. D’ailleurs, les plans de mon film ne sont  quasiment que des premières prises. On a peu filmé : trente bobines au total. Au moment de la post-production, il y a eu un problème avec la pellicule, qui a été soumise à des rayons X à l’aéroport. Il s’en est ensuivi un énorme travail de réparation numérique. Puis, en 2021, j’ai tourné L’Or et le Monde, et dû répondre à d’autres priorités. Ce n’est qu’ensuite que j’ai pu me concentrer à nouveau sur le montage de Balane 3, d’où sa sortie récente. 

Comment les rencontres avec les protagonistes ont-elles eu lieu ? 

Les Mozambicains sont très ouverts. Il y a des amis, et d’autres personnes rencontrées spontanément. On leur disait qu’on voulait réaliser un film, on discutait ensemble à l’avance. Ils ont en règle générale moins de filtres : par exemple, c’est normal pour les enfants d’écouter des conversations sur le sexe. C’est très beau car ici il y a beaucoup de tabous énormes, exagérés.  

À ce propos, il y a dans votre film des scènes très intimes : comment avez-vous créé une relation de confiance ? 

On passait beaucoup de temps avec eux en amont, et ils s’habituaient à notre présence. En ce qui concerne la séquence dans l’intimité d’un couple, il s’agissait d’un ami. Ils ont vite fini par nous oublier, et nous étions bien sûr en équipe réduite. Dans la plupart des scènes, les dialogues ne sont pas contrôlés : la question du sexe, de l’amour, revient spontanément. Je ne pensais pas à faire un film sur ce thème, mais c’est ce qu’il en sort,  on m’a même dit « c’est un film sur les relations ».  

Quelles sont donc les séquences contrôlées ? 

Je ne sais pas si je veux le révéler… mais en règle générale, cela arrivait lorsque les sujets de  conversation avaient déjà été traités dans d’autres séquences que j’avais pu tourner.  Alors je lançais une nouvelle idée de discussion, et je les laissais ensuite l’aborder librement. 

Je voudrais ajouter que c’est une société très machiste : ça se voit à plusieurs reprises dans le film, je ne voulais pas m’auto-censurer. Par exemple, les danses sont très sexuelles et peuvent être choquantes mais ce sont aussi des choses qu’on doit montrer, car c’est la réalité.  

Vous suivez d’ailleurs une certaine alternance filles/garçons dans le montage des séquences. 

Oui, il y a une sorte de parallèle entre les deux dans certaines conversations. Il y a  pourtant encore une grande séparation entre groupes d’amis : les garçons ne sortent  qu’entre garçons et pareil pour les filles.  

Plusieurs langues sont parlées au Mozambique : à quel stade de la création du film avez-vous traduit les conversations ? 

Pour les langues locales, la traduction s’est faite au montage. Au tournage, je sentais tout de même les émotions passer. Lors de la séquence de présentation des familles, par exemple, je sentais bien les tensions. Je savais que cette tradition existait : au montage,  j’ai pu mieux comprendre, en détail.  

Y a-t-il un fragment que vous préférez ? 

Plusieurs. Pendant le tournage, la séquence de la présentation, justement, était très forte. Mais il y a peut-être celle du danseur, vers la fin. Nous étions censés filmer un groupe de danseurs, mais ils ne sont pas venus finalement. Comme c’était la fin du tournage, on n’avait pas le temps de la refaire plus tard. C’est donc notre assistant de production, également danseur, qu’on voit à l’image. Le tourner en une seule prise, c’était magique ! C’est globalement un film où j’ai été surpris plusieurs fois, avec des rencontres improvisées.  

Que signifie pour vous le dernier plan : ce regard jeté en arrière vers Inhambane par un homme à la barre d’une embarcation ? 

C’est un autre jour. Nous avons filmé une embarcation qui rejoint Maxixe, la ville en face. On a commencé dans la baie, et on termine là aussi, avec des gens qui  vont travailler. Je voulais faire un jour à Inhambane : ç’aurait pu être le sous-titre du film.  D’ailleurs, j’ai pu montrer le film là-bas, et ils se sont reconnus, ils ont ri, c’était super ! 

Puis, avec la chanson du générique, je voulais rester sur cette sensation légère. On a  sous-titré les paroles, qui parlent de la mort mais sur une musique très joyeuse : « c’est la vie ». Et ça, c’est un peu l’esprit de là-bas. 

Propos recueillis par Anaëlle Chapalain 

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