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Billet de blog 24 mars 2024

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Elettra Bisogno et Hazem Alqaddi, réalisateurs de The Roller, The Life, The Fight

Hazem arrive en Belgique après un voyage douloureux depuis Gaza. À la même période, Elettra arrive à Bruxelles pour y étudier le film documentaire. Leur rencontre initiale suscite le désir de se comprendre à travers le cinéma. Les images de leur vie détaillent l'aventure de deux mondes se croisant, et se découvrant.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Tândor Productions

Comment est né ce projet de film?

Elettra : J'ai commencé à filmer au cours des années où notre rencontre a eu lieu, soit entre 2018 et 2019. Je suis arrivée à Bruxelles, où j'ai découvert les diverses réalités qui se mélangent dans une métropole aussi vaste, des individus affluent, d'autres s'éloignent. Notre rencontre a eu lieu lors de la projection d’un film palestinien. Nous avons fait connaissance et au même moment j’ai commencé l'exploration de l'univers cinématographique avec ma découverte de la caméra.

Hazem :  J'étais curieux de faire des films. J’avais déjà fait un court-métrage de neuf minutes, puis Elettra et moi nous sommes rencontrés et avons commencé ce projet. Cette collaboration c’était ma façon d'entrer dans le monde du cinéma en Europe. En 2020 nous avions déjà fait un court-métrage intitulé Old Child, également présenté à Cinéma du réel. The Roller, the Life, the Fight était une façon de prolonger ce précédent projet, parce qu'un film de 16 minutes ne peut pas expliquer ce que nous vivons. Notre idée était d’enregistrer notre vie quotidienne et les difficultés que nous avons rencontrées dans nos vies. Pendant cinq ans, nous avons enregistré tous ces documents, puis nous avons commencé à choisir ceux que nous voulions montrer dans le film. C'est sur cette base que nous avons réalisé le film. 

Elettra : Nous avons beaucoup filmé, peut-être 60 heures de rushs au fil des ans. Cela s’est cristallisé peu à peu, nous avons laissé de côté quelques histoires, quelques personnages, pour nous concentrer sur nous et la partie sur la régularisation parce qu'elle a pris une place vraiment importante dans nos vies. C'est ainsi qu'au début, nous apprenons à nous connaître et que, plus tard, nous essayons de faire face à ce gros souci qui occupe nos vies. 

Hazem : Nous avons fait ce film pour changer les choses, pour parler de l'immigration, pour expliquer les difficultés que nous avons pu rencontrer. Bien sûr, notre objectif est de changer les idées sur la migration, la façon dont nous vivons. Dans nos pays, on nous dit souvent qu’en Europe tout est mieux, que c’est le paradis. Lorsque vous arrivez ici et que vous découvrez la réalité, c'est autre chose. 

Elettra : Nous avons essayé de mettre en lumière ce thème de la migration, mais d'un point de vue très intime, en partageant nos émotions. C’était également pour montrer comment les gens vivent vraiment cela, pour toucher les gens à l'intérieur. C’est important pour nous d’essayer de penser aux différentes choses que nous pouvons faire chaque jour pour éviter la division. Les humains se sont toujours déplacés et continueront toujours, la question est de voir comment on peut rendre cela fertile, agréable et beau. 


Pourquoi ces trois mots : The Roller, the Life, the Fight ?

Hazem : Je fais du roller depuis que j’ai l’âge de 8 ans. C'était le seul moyen d’accéder à une forme de liberté à Gaza. C’était la seule chose que j'aimais comme sport, et ça m'a donné de la liberté d'une certaine manière. Gaza fait 40 km de long sur 10 de large, on est enfermés, cela me permettait de me sentir libre. Lorsque je patine, je suis dans un autre monde. La vie (life), c'est parce que nous parlons de nos vies, nous montrons directement notre quotidien. C'était aussi important de partager ma vie avec des Européens, pour leur montrer qui je suis, et aussi pour moi, pour ne pas oublier qui je suis. Le combat (fight) parce que c’était un nouveau combat pour moi, mais également pour nous. C'était un défi d'être ensemble, de traverser cette situation et en parallèle de faire ce film. 

Elettra : Le roller ,c’est ce que Hazem a emporté avec lui ici depuis Gaza. C’est l’image du mouvement, ça montre l’énergie d’Hazem mais également sa volonté à avancer, son envie de liberté. 
Le combat, c’est le combat quotidien, il concerne tout le monde. Nous devons nous battre pour ce en quoi nous croyons.


Ces trois mots et ce film, c’est une sorte de pont. Un pont entre Gaza et Hazem mais également entre Hazem et moi, et vers les gens. Ce pont... c'est ce pourquoi les films sont vraiment importants. Ils permettent de raconter ce qu’il se passe aujourd'hui. Ce film a été réalisé au cours des quatre dernières années. C’est le fragment d’une lutte. Ce qui se passe en Palestine dure depuis 75 ans.
C’est par ce genre de films que nous pouvons voir les visages, et entendre les voix de ceux qui se battent tous les jours. Je pense que c'est important, tristement important que ce film sorte aujourd'hui. 

Hazem : À Gaza, je me battais en faisant du roller, en Europe je peux me battre en faisant des films peut-être. La réalisation du film se concentrait principalement sur la migration, les difficultés que nous rencontrons en Europe notamment les procédures pour pouvoir venir ici. La situation à Gaza c’est totalement autre chose. 


Comment s’est déroulé le tournage, notamment une fois que vous arrivez dans les camps pour migrants ? 

Hazem : Bien sûr, nous n'avons pas demandé d'autorisation pour filmer, il ne s'agit pas de demander l'autorisation à la police, il s'agit de demander l'autorisation aux gens. La plupart du temps, je demande aux gens face caméra si je peux enregistrer ou non. C'était vraiment difficile. Vous ne pouvez même pas montrer votre téléphone ou prendre des photos facilement. La police fouillait les équipements, les téléphones, ils effaçaient tout ce qu'il y avait sur les appareils photos. J'ai eu de la chance lorsque je suis arrivé sur l'île parce que j'étais avec Elettra à ce moment-là et la situation était plus facile et plus fluide que quand j'étais seul. Si j’avais été seul ils auraient appelé la police, parce qu'ils ne veulent pas montrer au reste du monde qu'il y a des gens sur cette île, qui sont là depuis sept ans, qui sont coincés sur l'île. C'est une triste situation. J'étais sur l'île puis je suis parti en Belgique pendant une longue période et quand j’ai quitté la Belgique pour retourner sur l'île, comme on le voit dans le film, les personnes que j’y avais vu la première fois étaient toujours là. Certaines sont là depuis des années. 

Elettra : À ce moment-là, j'étais là en renfort et pour être un témoin de ce qu’il se passait. Lorsque j'étais là, tout était plus calme. Si personne n’est blanc, comme moi, ils ont carte blanche. La seule chose que je peux faire c'est être là, tenir la caméra et continuer à filmer, même quand ils me demandent d’arrêter. C’est quand ils vous demandent de ne plus filmer que quelque chose qu'ils ne veulent pas que vous voyiez se passe. Nous n'avons pas demandé la permission. L’image bouge, tremble parce que nous n'avons pas été autorisés. Certaines personnes qui ont vu le film trouvent que l’image tremble trop, que le film est étrange d'un point de vue esthétique, mais nous faisions de notre mieux pour tenir la caméra, la garder même quand c'était interdit.
Hazem : Sur l'île, j'ai filmé des amis, nous ne nous retrouvions pas avec l’idée de faire une interview. C’était plutôt comme si deux personnes, deux amis se retrouvaient : « comment tu te sens dans cet endroit ? où veux-tu aller ? », ça n’était pas une interview, c’était la manière naturelle de se parler, mais c’était filmé. 

Elettra : Je pense que dès le début, cela a été une grande leçon pour moi parce qu'en tant qu'étudiante, j'avais pensé qu’il fallait prévoir des plans, des scènes. Alors que dès le début du film Hazem m’a dit « non, nous allons simplement parler et enregistrer ». Nous voulions briser l'idée qu'il faut planifier et écrire. Nous ne voulions pas effacer la caméra, elle est là, elle fait partie du moment vécu, mais nous ne voulions pas construire quelque chose de faux autour de ce moment. Je pense que c'est la meilleure façon d'inclure le spectateur, lui offrir la possibilité d’être là, avec nous.


Devoir travailler sur ce film en parallèle de la difficulté de la procédure d’asile a-t-il était difficile ? 

Hazem : Je ne pense pas que le film ait eu un grand impact sur ma vie, dans le sens où il n’a pas ajouté de difficulté à ce que nous vivions. À Gaza je faisais du roller même pendant la guerre, il y avait des explosions partout et je faisais du roller. Ici, je filme. Lorsque quelque chose de grave m'arrive, je préfère l'enregistrer et en parler pour que cela sorte de moi. Cela m'a beaucoup aidé à aller de l'avant et à poursuivre les procédures, à continuer. Cela m'a donné beaucoup de courage. Je l'ai pris comme une joie. 

Elettra : Hazem dit que faire le film n'a pas rendu les choses plus difficiles parce que sa priorité était plutôt du côté de la procédure. Moi, c'était l'inverse, ma priorité était le film. Nous avons essayé de trouver un équilibre, en nous soutenant l'un l'autre. C’était très dur mais faire ce film c’était quelque chose qui nous soutenait, qui nous donnait de la force. À la fin, grâce au film, nous aurons des traces de ce que nous avons vécu. C'était également un moyen de mettre en lumière toutes les personnes qui vivent cette situation et qui n'ont pas de caméra. De nombreuses personnes se sont retrouvées dans cette situation et ne l'ont pas filmé, cela nous a donné la force de continuer ce processus en nous disant que ce serait au nom de ces personnes. C'est la meilleure chose que nous pouvions faire. 

Hazem : C'est une boucle qui se ferme. La vérité tourne et tourne et tourne et à la fin, la vérité apparaît. Notre film est maintenant projeté à Cinéma du réel où des gens vont pouvoir le voir. Je crois en la dignité, la vérité apparaîtra un jour. 

Elettra : J’espère que ce film permettra à certaines personnes de ressentir un peu plus la réalité des gens qui nous entourent, d’être un peu plus curieux de la vie des autres et des difficultés qu’ils traversent. De chercher là où nous pouvons nous rencontrer, pour être forts ensemble.

Hazem : Je dis toujours que nous sommes tous connectés d'une certaine manière : Arabes, Africains, Asiatiques, Européens, nous sommes sur une même planète. Nous avons tellement de problèmes, nous sommes concentrés sur nos problèmes sans tenir compte les uns des autres. Ce film a également pour objectif de montrer que nous sommes égaux. Nous sommes différents dans la façon dont nous mangeons peut-être. Mais nous devons collaborer.
Dans ce film, nous parlons beaucoup de sentiments, parce que la chose la plus importante est que les gens puissent ressentir ce que nous avons traversé, comprendre. 

Elettra : De nos jours, les informations, les médias sont très rapides, les infos passent, se dépassent, s’oublient. C'est pourquoi ce genre de film montre au contraire qu'il y a des gens qui restent, qui continuent, qui luttent tous les jours, qui luttent depuis des années, et que la lutte est encore longue. Il faut garder cela à l'esprit tous les jours pour construire une résistance. Il n'y a pas de noir ou de blanc, de oui ou de non, il y a des nuances et il est important d'être curieux, de savoir faire un pas de côté, pour comprendre les réalités de chacun.


Propos recueillis par Victoire Lancelin 


Projections à Cinéma du réel
Lundi 25 mars à 21h au Centre Pompidou, Cinéma 1
Mardi 26 mars à 13h30 à la Bulac
Mercredi 27 mars à 14h au MK2 Beaubourg

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