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Billet de blog 24 mars 2025

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Entretien avec Rostislav Kirpicenko, réalisateur de 1 rue Angarskaia

À l'annonce de la guerre en Ukraine, Rostislav Kirpicenko, étudiant ukrainien à Paris, se lance dans une véritable traversée de l’Europe en direction de sa ville natale. Au fil des rencontres et des témoignages, on plonge dans la brutalité de la guerre. 1 rue Angarskaia c’est aussi un retour dans le passé, un adieu à ce qui n’est plus et une parole portée par l’incompréhension face à l’horreur.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Rostislav Kirpicenko / Matka Films

Au départ du film, on ressent comme un élan, une impulsion. Quelles étaient vos premières motivations ? Est-ce que vous êtes parti avec cette envie, ce besoin de filmer la guerre en Ukraine ? 

Rostislav Kirpicenko : Je suis parti sur un coup de tête. Je faisais encore mes études et donc j'avais un mois où je pouvais m'absenter. Je suis parti juste comme ça. J'ai appelé ma productrice qui m'a donné de l'argent pour ça. 

Après, au montage, on a mis beaucoup de temps pour trouver la structure. Au départ, je ne voulais pas que ce soit quelque chose de personnel. Mais on s'est rendu compte qu'il y avait une vraie absence de point de vue dans le film, parce qu’il y avait beaucoup de personnages. Au fur et à mesure du montage, on a compris qu’on devait trouver une autre dramaturgie. On est donc repartis sur le moment de la préparation du film. Tout ce que je raconte en voix off, c'est les choses telles qu’elles se sont passées. Le film qui est en train de se faire fait partie du film. 

Ce que je raconte, ce sont toutes mes motivations, mes questionnements du début : revenir en Ukraine, s'engager ou non. Comme je le dis dans le film, je n'avais pas assez de courage pour tout lâcher. Faire le film, c'était aussi une manière de m'approcher du sujet, de m'imprégner très concrètement de ça. Je ne me sentais pas à l'aise avec le fait de rester complètement à distance et de ne pas avoir vu ça de mes propres yeux. C'est pour ça que je suis parti, mais je ne savais pas ce que j'allais tourner. C'était vraiment ce que j'attendais du film. Je me disais « je vais me débrouiller sur place, je vais trouver les fils qui manquent. »
Tout ce que je raconte, ce sont mes souvenirs. Parfois je prenais des notes, ou il y avait des phrases qui se formaient dans ma tête. C'est un film qui n'a pas été écrit du tout. Je connaissais juste le trajet, la trajectoire que j'allais parcourir.

Vous dites qu'au début, vous ne vouliez pas que ce soit un film personnel ? Vous vouliez laisser la parole aux témoignages ?

Plus ou moins. Je me sentais mal à l'aise avec le fait de mettre mon histoire au même niveau que celle des gens qui souffrent vraiment. 

Mais en même temps, j'ai commencé le tournage en Lituanie avec ma famille. Donc quelque part, inconsciemment, je faisais partie du film : je rentrais chez moi. Je pense que c'est

quelque chose que je ne me disais pas, mais j'avais aussi envie de dire adieu à mon pays tel que je le connaissais. 

Finalement, nous avons tracé deux lignes, une qui est purement personnelle, et une qui pouvait évoluer grâce aux rencontres. 

La guerre est centrale dans le film. Est-ce que réaliser un film est apparu pour vous comme un moyen de réagir face à cette situation  ? 

Je ne suis pas sûr, parce qu'il y avait quelque chose de plus. Je suis un peu mal à l'aise avec le choix des mots, mais j'ai l'impression qu'il y a quand même une approche qui était aussi quelque part un petit peu poétique.
J'ai l'impression que je me place du côté de la poésie, si je peux utiliser ce mot concernant ce genre d'événement, avec une réflexion sur le héros lyrique, qui est moi-même. Et j'ai l'impression que la notion d'action et de réaction vient ici de la poésie. 

Il y a quelque chose qui est plus de l'ordre de l'observation de la réalité. Une sorte de consolation aussi, face à quelque chose qui n’est plus là. Quelque chose qui disparaît. Quelque chose qu'on ne peut pas retenir. Donc non, ça n'était pas une réaction. Mais dans le film, je le dis, ça n’est pas une vraie manière de me pardonner quoi que ce soit. 

Votre film est aussi un lieu d’échange. Vous partez à la rencontre des autres, comme une enquête sur votre passé mais aussi un témoignage du présent. Est ce que ça a été difficile de rentrer en contact, de poser cette caméra pour recueillir les témoignages ?

Le problème était que tout le monde voulait vraiment parler. Ils avaient vraiment besoin de ça. Et donc c'était plus dur pour moi que pour eux. Pour eux, c'était une sorte de soulagement et moi je récoltais des témoignages tous les jours de choses complètement atroces. Les choses dont j’ai été témoin et qui se sont passées en Ukraine étaient absolument inhumaines. C’était compliqué à digérer, compliqué à accepter.
Ils avaient besoin d'expulser quelque chose, j'étais incapable de tout prendre et de tout digérer, mais la caméra aidait pas mal. Il y a eu des moments où je voulais éteindre la caméra. Je ne voulais pas continuer à filmer, mais j'ai l'impression que si j'avais éteint la caméra, ç’aurait été gênant, presque de l'irrespect. Les gens ont besoin de parler.

Propos recueillis par Marguerite Buxtorf

Le film sera projeté : 

mercredi 26 mars à 18h30 au Saint André des arts 

vendredi 28 mars à 14h à l'Arlequin 1

samedi 29 mars à 14h à la Bulac 

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