
Agrandissement : Illustration 1

“J'ai vu une image de cette ville de Tin City en Allemagne, mais elle ressemblait à Belfast et Derry.” Cette première impression a déclenché la curiosité du cinéaste irlandais Feargal Ward et l’a amené à explorer un site d’entraînement militaire britannique dans le nord-ouest de l’Allemagne, conçu pour simuler des combats urbains et former les soldats britanniques contre l'Irish Republican Army pendant le conflit. Dans Tin City, Ward utilise des images d'archives des années 1970 pour dévoiler un aspect souvent ignoré de la guerre : la préparation militaire qui se joue loin des véritables champs de bataille. Les conflits dépassent souvent leurs frontières officielles, se déroulant aussi dans des espaces neutres, éloignés des zones de guerre réelles. En utilisant la technique du cinéma observationnel, Ward laisse le spectateur plonger dans l’atmosphère de ce lieu étrange.
“La première partie du film présente des images d'archives de Tin City sans commentaires, permettant au spectateur de s’imprégner de l'atmosphère.” Les images nous plongent dans une ville remplie de mannequins représentant des civils. Ward choisit de les déplacer dans une forêt, un geste symbolique afin de les humaniser. “Ils étaient tellement déshumanisés… abattus, mal habillés, maltraités.” La forêt devient ainsi un refuge, un lieu de renouveau contrastant avec l’ambiance oppressante de Tin City. “Dans les fairy tales (“contes de fées”), la forêt est l’endroit où les exclus de la civilisation trouvent une protection.”
L’un des moments-clé du film est une interview de 1989 avec un membre de l'IRA, après la mort d'une femme allemande, épouse d’un soldat britannique. Tandis que les forces britanniques s’entraînaient en Europe, les paramilitaires républicains ciblaient les soldats. Dans l’interview, seules les questions de l’intervieweur sont audibles, cependant que les réponses de l'IRA apparaissent en texte. “Donner la parole au journaliste allemand semblait naturel, mais faire taire le porte-parole de l'IRA faisait référence à l’interdiction par la Grande-Bretagne de diffuser leurs voix.” Cette absence de voix est à la fois frappante et révélatrice, obligeant le spectateur à se concentrer sur le sens des mots.
Ward met également en évidence les conséquences psychologiques de la militarisation, tant sur les soldats que sur les communautés locales. En montrant comment ces terrains d’entraînement simulent des combats réels, le film soulève des questions sur les effets à long terme de la violence, même avant qu'elle n'éclate sur le terrain.
Pour Ward, le conflit entre l'IRA et l’armée britannique, qui se joue loin de leurs terres, reste au cœur du film. Le conflit à été excentré et joué dans un tiers-lieu, un terrain neutre, loin à la fois de la Grande-Bretagne et de l'Irlande. La guerre est déplacée, à l’abri des regards. Une situation quelque peu familière. “Il est, même aujourd'hui, utilisé comme installation de l'OTAN pour des entraînements au combat, c'est pourquoi je n'ai pas pu entrer sur le site pour filmer.” Tin City reste un site d'entraînement au combat actif de l'OTAN, notamment avec la guerre en Ukraine en cours, et sert de précurseur à d'autres terrains d'entraînement militaires récemment construits aux États-Unis, en Israël, et au Moyen-Orient. Tin City devient plus qu'une simple étude d'un lieu ; il se transforme en une réflexion sur l’expansion de la militarisation à l’échelle mondiale et sur l’impact de ces espaces stratégiques façonnés par des intérêts politiques. Un puissant rappel de la manière dont les nations ont historiquement utilisé des pays tiers comme champs de bataille pour leurs propres conflits.
Renata Kotti-Domprets
Le film sera projeté :
mercredi 26 mars à 18h30 au Saint André des Arts
vendredi 28 mars à 14h à l'Arlequin 1