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Billet de blog 25 mars 2024

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Entretien avec Maud Faivre et Marceau Boré, réalisateurs de Modèle animal

Modèle animal est le premier film de Maud Faivre et Marceau Boré, respectivement photographe et musicien. Ce moyen-métrage est une plongée sensorielle dans un centre de recherche du comportement animal. C'est une réflexion sur la place de l’animal et plus globalement sur le rapport de l’homme au vivant.

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Illustration 1
© L'image d'après

Pouvez-vous parler du déroulement du tournage et de votre approche? 

On n’a pas été trop déroutés au début parce qu’on a respectivement fait de la photographie documentaire pour Maud et beaucoup d’enregistrements de terrain pour Marceau, ce qui était très similaire à la posture adoptée pour ce film.
On a commencé par faire pas mal de repérages pour explorer. On faisait en fonction de ce qu’il se passait sur place au laboratoire. Quand il y avait certains événements, on nous prévenait et puis on essayait de s'organiser pour aller filmer. C’était plutôt irrégulier mais on a vraiment commencé à filmer en 2019, et donc pendant trois ans. On passait beaucoup de temps avec les personnes du laboratoire pour comprendre ce qu’elles faisaient, avant de les filmer.
Ensuite, le montage a remplacé l'écriture. C'était intéressant parce que ça nous permettait de faire des allers-retours : on amenait des rushes, on les visionnait et on écrivait les fils directeurs du film. Ces mêmes écrits nous nourrissaient quand on retournait filmer. Toutes ces phases d'écriture, de montage et de tournage se sont superposées et on n’aurait pas imaginé travailler autrement ! 


Comment avez-vous construit votre narration au montage ? 

Avec notre monteur, Damien Monnier, on a dû passer par une première session de montage pour essayer d’y voir plus clair dans nos rushes. On a commencé par reconstituer dans l’ordre toutes les expériences scientifiques qu'on avait filmées pendant deux ans. On a réalisé énormément d'interviews que nous n’avons pas gardé dans le film, on aurait pu faire plein de petits films scientifiques, finalement. Ça nous a aidé à comprendre la méthode des scientifiques. Souvent, pour chaque expérience, il y a un modèle animal et une question. Après s’être détaché.es de cette visée didactique, on s'est demandé quelles pouvaient être les questions transversales à ces expériences-là et comment faire un film à partir de nos rushes. Enfin, la question centrale du film, celle qui nous a mené de l’ornithologie à la science, c'est celle du rapport de l’humain au vivant. 


Maud, est ce que tu peux parler des images, principalement des cartons de couleur qui rythment le film et de ton choix de filmer en quatre tiers ?

Ces cartons de couleur miment les gestes que les chercheurs et chercheuses font dans le film. Ils rappellent l’univers de gommettes colorées utilisées comme stimulis visuels sur les animaux. Généralement dans les films on met des cartons noirs, on s’est dit “pourquoi pas mettre un carton de couleur ?” et on s'est rendu compte que ça faisait aussi office de stimuli visuels sur les humain.es. Ici ce sont les spectatrices et spectateurs de la salle de cinéma qui se font flasher ! Aussi, c'est un film assez saturé et pop dans le traitement. C'est un geste artistique qui prend son sens dans le fait de mettre en valeur tout l’univers plastique des scientifiques.
Ensuite, je travaille à la chambre technique et c'est le format quatre tiers qui est utilisé. Cependant, c’est aussi un choix, je trouve que ce format resserre un petit peu le cadre et ça enferme encore un petit peu plus les animaux dans leurs boîtes, ce qui appuie une sensation qu’on a dans le film. 


Au fur et à mesure du film, on passe de gros plans sur les animaux à des plans beaucoup plus larges sur lesquels les humain.es apparaissent. Est ce que vous avez voulu déplacer la sensation d’enfermement des animaux aux humain.es ? 

C’est tout à fait cela. On prend de la distance avec les humain.es pour montrer qu’eux aussi sont dans leur boîte, derrière une vitre : c’est le laboratoire. On a pensé ce laboratoire comme une boîte où il y a beaucoup de petites boîtes, parce que dans chaque salle sont réalisées des expériences différentes autour de questions transversales sur la cognition animale.
Le laboratoire est quand même fait pour étudier des questions très précises du comportement d'un animal et l'idée, c'est d’extraire l'animal de son environnement pour qu'il n'y ait pas d'éléments perturbateurs. On se retrouve donc dans des endroits qui sont quand même normalement assez aseptisés, bien que comme on le voit dans le film, ce n’est pas vraiment le cas. On a passé tellement de temps dedans que nous-mêmes on se sentait un peu coupés de l'extérieur.
On a aussi récupéré de très belles images d'archives que les scientifiques nous ont données. On a voulu montrer que les films scientifiques sont chargés d'une esthétique affirmée et fascinante. Puisqu’on a utilisé leurs images réalisées avec des microscopes macro, on n’a donc pas eu besoin d’utiliser d’objectifs macro de notre côté. C’était aussi un parti pris, de rester à l’échelle du corps et des mains des scientifiques.


Marceau, tu peux parler de l’environnement sonore qui a un rôle un peu plus inconscient dans le film ?

C'est un environnement hyper bruyant avec beaucoup de petits stimuli sonores auxquels les humain.es ne font pas forcément attention. L’environnement sonore du laboratoire est un facteur assez peu pris en compte dans la nécessité d’isoler les animaux de facteurs confondants [des variables liées à leurs milieux de vie]. Si les images ne sont pas à leur échelle, pour nous, c’est intéressant de vraiment retranscrire la sensation du son que peuvent avoir les animaux. Cela permet de se placer un peu plus près de l'animal qui entend et qui ressent des vibrations très fortes. J’ai cherché beaucoup de sons afin de représenter cet univers sonore au mieux, il y a donc beaucoup de sons asynchrones dans le film.
D'ailleurs, le film n'est pas forcément très bruyant mais il est très “plein” et il n'y a pas beaucoup de moments de silence. On en retrouve uniquement à deux moments : sur les cartons de couleur et lors de l’unique plan à l’extérieur du laboratoire. Ils permettent de prendre conscience du bruit. 


Est-ce que vous voulez ajouter quelque chose ? 

On aimerait rajouter un petit mot sur la loi de programmation de 2020 sur la recherche en France qui va à l’encontre de la liberté exploratoire de la recherche fondamentale et met une pression constante aux chercheurs et chercheuses pour obtenir des financements privés.

Propos recueillis par Justine Assié

Projections à Cinéma du réel
Mardi 26 mars à 18h au Forum des Images
Vendredi 29 mars à 16h au Centre Pompidou, Cinéma 1

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