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Votre film précédent, Accession, aborde également le sujet des stratégies humaines pour la protection d’espèces vivantes. Pour Homing, qu’est-ce qui vous a intéressé en premier : les oiseaux ou le travail des scientifiques ?
En fait, la forme est venue avant le sujet, et mon idée initiale était de suivre la migration de n’importe quelle espèce d’oiseau, à travers ses rencontres avec différents personnages. Je pensais structurer le film de cette façon, en différentes scènes le long du parcours de migration. Puis, comme je cherchais un oiseau à suivre, j’ai contacté différents scientifiques, des gens qui équipaient les oiseaux de GPS pour les suivre. C’est comme ça que j’ai fini par m’intéresser à cette espèce en particulier, qui s’est révélée être plus intéressante pour d’autres raisons.
Avez-vous vraiment suivi la migration des oiseaux ?
La première scène a été tournée au Brésil, mais le reste n’a pas été tourné exactement dans l’ordre. J’ai juste cherché différents endroits où ils se rencontraient, et j’ai monté le tout pour que ça ressemble à un seul voyage, alors que c’est en fait un assemblage de beaucoup de plans différents. Je pense qu’il est impossible de suivre exactement les oiseaux parce qu’ils se déplacent trop rapidement. J’ai pu trouver ces endroits grâce à une communauté de personnes qui sont très investies dans la protection de cette espèce, puisqu’elle est menacée. Pour survivre, les oiseaux ont besoin de nichoirs construits pour eux. Il y a beaucoup de blogs en ligne, de groupes Facebook, où ils postent des messages comme « les oiseaux étaient là l’année dernière, peut-être qu’ils seront là cette année », donc je me suis rendu dans ces endroits en espérant les apercevoir.
Qu’est-ce que le mot « homing » signifie pour vous ? Il y a un double sens, puisqu’il désigne à la fois l’instinct de retour des oiseaux et leur « logement », l’action de leur procurer un abri.
Le titre est venu très vite, et je l’entendais alors dans le premier sens, comme l’instinct de l’oiseau. Mais plus tard, il a commencé à prendre d’autres sens. « Homing » est aussi lié au suivi GPS des oiseaux [« homing » désigne alors le système d’autoguidage, NDLR]. Et aux nichoirs : pour cette espèce, l’habitat est très important parce qu’ils dépendent des nichoirs. Je vois aussi ma façon de filmer comme une sorte de « homing » : trouver par là un ancrage ou un sentiment d’appartenance, non pas nécessairement dans un endroit, mais plutôt dans le contact avec d’autres espèces, avec la terre ou avec la nature.
Les rituels jouent aussi un rôle important dans ce film.
Je ne l’ai pas abordé dans le film, mais beaucoup de peuples autochtones en Amérique partagent une longue histoire avec cet oiseau. J’ai parlé à quelques personnes de deux peuples différents, et ils m’ont raconté qu’ils avaient toutes sortes de rituels autour de ces oiseaux. Au lieu de représenter les rituels d’autres personnes, j’ai essayé de pratiquer mon propre rituel, et de trouver un rapport personnel et plus profond à cet oiseau, différent de celui qu’on aurait dans un documentaire animalier, à travers la réalisation.
On ne voit d’humains dans le film qu’à travers des plans serrés sur leurs mains. Pourquoi ce choix de cadrage ?
Au début, ce n’était pas prévu comme ça. J’ai tourné des séquences avec des visages, des plans moyens, des plans larges de personnes. Mais j’étais plus intéressé par les gros plans, par les mains. Je pense que c’est parce que ça isole leurs corps, en particulier dans la scène de la dissection de l’oiseau : la frontière est brouillée entre la chair de l’humain et la chair de l’oiseau.
Les hirondelles noires sont des victimes collatérales de la colonisation, puisqu’elles sont en concurrence avec les oiseaux importés par les Européens. Mais j’ai l’impression que le film représente une coexistence, plutôt qu’un conflit, entre les différentes espèces.
C’est vrai. Ils se sont adaptés. Ils étaient beaucoup plus nombreux avant. Même si c’est impressionnant d’en voir autant dans le film, d’après ce que les gens racontent, il y en avait des millions de plus, le ciel était noir d’oiseaux. Malgré tout, ils ont trouvé le moyen de s’adapter à leur nouvel environnement. Par exemple, le parking où on les voit n’était pas là avant la colonisation, c’est sûr, il n’était même pas là il y a cinquante ans, mais ils y vont parce que la lumière éloigne les prédateurs. Ils trouvent mille manières de s’adapter à ces environnements laids et industriels, mais les nichoirs sont une forme de coexistence plus délibérée. On dirait vraiment que les gens essaient de réparer les erreurs du passé (l’importation de ces espèces invasives et la violence coloniale en général, avec tous ses effets néfastes) et de créer une forme de relation avec cette espèce très ancienne.
Pouvez-vous m’en dire plus sur votre propre relation à ces oiseaux ?
Elle a commencé avec le projet. Avant de faire le film, je ne savais pas qu’ils existaient. Mais au cours de mon voyage, j’ai commencé à ressentir leur présence dans mon esprit. Quand j’allais me coucher, tout ce que j’avais vu ce jour-là, les nuées tournoyantes ou le bruit qu’elles faisaient, ça restait avec moi. D’une certaine manière, ça s’imprimait dans mon corps, et à force j’ai commencé à tisser un lien avec eux. J’aime beaucoup le plan des oisillons dans le nichoir. Après l’avoir filmé, j’en ai gardé une forme très physique de souvenir. Des expériences comme celle-ci, ça crée un lien.
Propos recueillis par Violette Boré-Deverre
Séances
Mardi 26 mars à 18h au Forum des Images
Vendredi 29 mars à 16h au Centre Pompidou, Cinéma 1