Cinéma du réel (avatar)

Cinéma du réel

Festival international du film documentaire

Abonné·e de Mediapart

216 Billets

0 Édition

Billet de blog 25 mars 2024

Cinéma du réel (avatar)

Cinéma du réel

Festival international du film documentaire

Abonné·e de Mediapart

Entretien avec Tamer Hassan, réalisateur de Homing

De l’Amazonie aux Grands Lacs des Etats-Unis, Homing suit la migration des hirondelles noires, une espèce chassée de son habitat naturel par les oiseaux apportés par les colons européens, et leurs rencontres avec ceux qui tentent de les protéger.

Cinéma du réel (avatar)

Cinéma du réel

Festival international du film documentaire

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Tamer Hassan

Votre film précédent, Accession, aborde également le sujet des stratégies humaines  pour la protection d’espèces vivantes. Pour Homing, qu’est-ce qui vous a intéressé en  premier : les oiseaux ou le travail des scientifiques ? 

En fait, la forme est venue avant le sujet, et mon idée initiale était de suivre la migration de  n’importe quelle espèce d’oiseau, à travers ses rencontres avec différents personnages. Je  pensais structurer le film de cette façon, en différentes scènes le long du parcours de migration.  Puis, comme je cherchais un oiseau à suivre, j’ai contacté différents scientifiques, des gens qui  équipaient les oiseaux de GPS pour les suivre. C’est comme ça que j’ai fini par m’intéresser à  cette espèce en particulier, qui s’est révélée être plus intéressante pour d’autres raisons.  


Avez-vous vraiment suivi la migration des oiseaux ?  

La première scène a été tournée au Brésil, mais le reste n’a pas été tourné exactement  dans l’ordre. J’ai juste cherché différents endroits où ils se rencontraient, et j’ai monté le tout pour  que ça ressemble à un seul voyage, alors que c’est en fait un assemblage de beaucoup de plans  différents. Je pense qu’il est impossible de suivre exactement les oiseaux parce qu’ils se déplacent  trop rapidement. J’ai pu trouver ces endroits grâce à une communauté de personnes qui sont très  investies dans la protection de cette espèce, puisqu’elle est menacée. Pour survivre, les oiseaux  ont besoin de nichoirs construits pour eux. Il y a beaucoup de blogs en ligne, de groupes  Facebook, où ils postent des messages comme « les oiseaux étaient là l’année dernière, peut-être  qu’ils seront là cette année », donc je me suis rendu dans ces endroits en espérant les apercevoir.  


Qu’est-ce que le mot « homing » signifie pour vous ? Il y a un double sens, puisqu’il  désigne à la fois l’instinct de retour des oiseaux et leur « logement », l’action de leur  procurer un abri. 

Le titre est venu très vite, et je l’entendais alors dans le premier sens, comme l’instinct de  l’oiseau. Mais plus tard, il a commencé à prendre d’autres sens. « Homing » est aussi lié au suivi  GPS des oiseaux [« homing » désigne alors le système d’autoguidage, NDLR]. Et aux nichoirs : pour cette espèce, l’habitat est très important parce qu’ils dépendent des nichoirs. Je vois aussi ma façon de filmer comme une sorte de « homing » : trouver par là un ancrage ou un sentiment d’appartenance, non pas nécessairement dans un endroit, mais plutôt dans le contact avec d’autres espèces, avec la terre ou avec la nature.  


Les rituels jouent aussi un rôle important dans ce film. 

Je ne l’ai pas abordé dans le film, mais beaucoup de peuples autochtones en Amérique  partagent une longue histoire avec cet oiseau. J’ai parlé à quelques personnes de deux peuples  différents, et ils m’ont raconté qu’ils avaient toutes sortes de rituels autour de ces oiseaux. Au lieu  de représenter les rituels d’autres personnes, j’ai essayé de pratiquer mon propre rituel, et de  trouver un rapport personnel et plus profond à cet oiseau, différent de celui qu’on aurait dans un  documentaire animalier, à travers la réalisation.  


On ne voit d’humains dans le film qu’à travers des plans serrés sur leurs mains.  Pourquoi ce choix de cadrage ? 

Au début, ce n’était pas prévu comme ça. J’ai tourné des séquences avec des visages, des  plans moyens, des plans larges de personnes. Mais j’étais plus intéressé par les gros plans, par  les mains. Je pense que c’est parce que ça isole leurs corps, en particulier dans la scène de la  dissection de l’oiseau : la frontière est brouillée entre la chair de l’humain et la chair de l’oiseau.


Les hirondelles noires sont des victimes collatérales de la colonisation, puisqu’elles  sont en concurrence avec les oiseaux importés par les Européens. Mais j’ai l’impression que le film représente une coexistence, plutôt qu’un conflit, entre les différentes espèces. 

C’est vrai. Ils se sont adaptés. Ils étaient beaucoup plus nombreux avant. Même si c’est  impressionnant d’en voir autant dans le film, d’après ce que les gens racontent, il y en avait des  millions de plus, le ciel était noir d’oiseaux. Malgré tout, ils ont trouvé le moyen de s’adapter à leur  nouvel environnement. Par exemple, le parking où on les voit n’était pas là avant la colonisation,  c’est sûr, il n’était même pas là il y a cinquante ans, mais ils y vont parce que la lumière éloigne les  prédateurs. Ils trouvent mille manières de s’adapter à ces environnements laids et industriels, mais  les nichoirs sont une forme de coexistence plus délibérée. On dirait vraiment que les gens essaient  de réparer les erreurs du passé (l’importation de ces espèces invasives et la violence coloniale en  général, avec tous ses effets néfastes) et de créer une forme de relation avec cette espèce très  ancienne. 


Pouvez-vous m’en dire plus sur votre propre relation à ces oiseaux ? 

Elle a commencé avec le projet. Avant de faire le film, je ne savais pas qu’ils existaient.  Mais au cours de mon voyage, j’ai commencé à ressentir leur présence dans mon esprit. Quand  j’allais me coucher, tout ce que j’avais vu ce jour-là, les nuées tournoyantes ou le bruit qu’elles  faisaient, ça restait avec moi. D’une certaine manière, ça s’imprimait dans mon corps, et à force j’ai commencé à tisser un lien avec eux. J’aime beaucoup le plan des oisillons dans le  nichoir. Après l’avoir filmé, j’en ai gardé une forme très physique de souvenir. Des expériences comme celle-ci, ça crée un lien.

Propos recueillis par Violette Boré-Deverre


Séances
Mardi 26 mars à 18h au Forum des Images
Vendredi 29 mars à 16h au Centre Pompidou, Cinéma 1

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.