Cinéma du réel (avatar)

Cinéma du réel

Festival international du film documentaire

Abonné·e de Mediapart

216 Billets

0 Édition

Billet de blog 25 mars 2025

Cinéma du réel (avatar)

Cinéma du réel

Festival international du film documentaire

Abonné·e de Mediapart

Entretien avec Ali Vanderkruyk, réalisatrice de Six Knots

Dans Six Knots, Ali Vanderkruyk explore les liens ténus entre les tentatives de réparation des dommages causés aux cultures autochtones par la colonisation et la préservation des cétacés au Canada.

Cinéma du réel (avatar)

Cinéma du réel

Festival international du film documentaire

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Ali Vanderkruyk

Qu’est-ce qui vous a amenée à travailler sur Six Knots  

Je viens de Colombie-Britannique, qui est également le lieu où j’ai tourné Six Knots. J’ai fait mes études à Los Angeles et c’est là-bas que j’ai réalisé que ce que je souhaitais, c’était faire des films sur les lieux que je connaissais. Je suis fascinée par l’endroit où j’ai grandi, et je pense que l’on réalise ça seulement quand on s’en va pour un lieu que l’on ne connait pas. J’ai toujours observé cette rivière traversée par un barrage, non loin de là où j’ai grandi. Cette rivière était à l’origine, avant que la région soit colonisée, un immense fleuve où vivait une grande communauté de saumons sauvages. Cette population, après l’installation du barrage, s’est écroulée pour laisser place à une écloserie, c’est-à-dire un élevage destiné à ces mêmes saumons. C’est donc cette relation qui m’a toujours fascinée, cette idée de destruction et de réparation humaine. Les locaux sont ensuite allés pêcher dans cette écloserie... Comme si on essayait de reproduire l’ordre naturel des choses, ce que je trouve inconfortable. Un jour, le barrage a lâché, sans évacuation prévue, emportant avec lui les vies de quelques-uns de ces pêcheurs. Je ne faisais donc que penser à comment cette tragédie aurait pu être évitée. Comment cent ans d’histoire ont mené à cette catastrophe. Au départ, l’idée était de parler de cela. Puis j’ai découvert l’histoire de Paul Cottrell, qui est coordinateur de mammifères marins ainsi que l’une des seules personnes habilitées à « démêler » les baleines des filets de pêche. C’est là que je me suis dit : « c’est mon entrée dans le sujet ». Cette idée de démêlage était la parfaite métaphore à mes yeux pour représenter le rapport entre ce qui est détruit et ce qui est réparé par les humains… C’est maintenant notre responsabilité de tenter de « démêler » tous ces dégâts que nous avons causés.

Avant Six Knots, vous avez réalisé d’autres documentaires, mais aussi beaucoup de clips musicaux. Quels sont donc vos sujets favoris en termes de création audiovisuelle ?  

Je sens que je prends un chemin particulier depuis Six Knots. Actuellement, je m’intéresse à des sujets similaires autour de ce qu’il y a au-dessus de l’humain, les mondes naturels, comment nous les voyons et comment nous avons essayé de les maîtriser. Esthétiquement, je suis très intéressée par le plaisir visuel de l’abstraction, par les choses que les humains ne peuvent pas comprendre, comme la nature ou les animaux, au contraire des images qui sont créées pour un intérêt utilitaire. Je suis également obsédée par les cercles, je ne sais pas pourquoi, mais j’y reviens toujours.  

Diriez-vous confronter la surexploitation des cétacés au Canada est un moyen d’aborder l’héritage aujourd’hui toujours tu de la colonisation et de l’effacement des cultures natives ? 

Absolument ! C’est même le cœur de cette conversation que j’ai à la fin du film avec Dylan Robinson, qui est l’auteur de l’ouvrage Hungry Listening: Resonant Theory for Indigenous Sound Studies, un livre incroyable à propos des cultures autochtones. Je n’ai réalisé qu’au montage que, pour susciter une conversation entre l’histoire coloniale et la Terre, j’avais besoin d’y insérer ma propre perspective, dans une certaine mesure. Mais dans cette conversation, je m'implique moi-même en tant que colonisateur qui vit sur une terre colonisée... C’est pour cela que j’ai souhaité impliquer Dylan dans ce récit. Je cherchais des réponses à toutes ces questions et il m’a simplement répondu que je ne pourrai pas en avoir. Pour tenter de créer un récit qui charrie tous ces thèmes, la solution était peut-être de choisir un sujet, tel que regarder les baleines, leur mort et leur conservation, depuis la perspective d’un scientifique qui tente de les sauver. Je ne l’explique pas clairement dans le film, mais il y a un moment où les descendants des colons blancs enseignent ces leçons de conservation de l’environnement aux communautés locales, qui sont souvent elles-mêmes autochtones. Colons et natifs se retrouvent donc dans la même entreprise de réparation des dommages du passé. C’est tellement étrange dans un sens, mais tout le monde essaie. 

Qu’est-ce qui vous a poussé à travailler avec Dylan Robinson, qui est ethnomusicologue ?  

J’avais déjà lu ses livres avant de réaliser Six Knots et ces ouvrages étaient pour moi une sorte de guide sur comment je devais approcher le son. De plus, j’aime utiliser les textes comme base de comment je pense les choses. Je lui ai donc seulement demandé s' il voulait avoir une conversation avec moi et il a accepté ! C’est très important pour moi d’entendre ce que les autres ont à dire pour ne pas rester enfermée dans mes propres perspectives.La fin du film dit pour moi quelque chose de très important : cette question que je pose sur l’héritage de la colonisation est très importante, mais on ne connaît pas la réponse. C’est à nous de faire le cheminement, et c’est pourquoi je voulais avoir cette fin ouverte. Ceci est illustré par des images dans un cercle, comme le regard d’un colon qui observe la terre à la longue-vue. Je voulais que le public qui regarde Six Knots s’interroge sur le versant caché de cette partie de l’histoire. Je ne regrette pas d’avoir laissé cette fin telle quelle. Ouverte, comme la conversation que nous avons à propos de ces sujets. 

Quelle est votre espèce de cétacé préférée ? Avez-vous une baleine favorite ? 

Oh, c’est difficile, je voudrais répondre à la question, mais Six Knots est un projet qui tend à ne faire aucune hiérarchie entre les espèces de cétacés. Après, si on pense à des espèces plutôt charismatiques, je dirais que je trouve que la baleine à bosse fait le son le plus plaisant à mes oreilles. D’un autre côté, je trouve que les orques sont probablement les plus charismatiques, car il y a tant d’histoires où elles ont terrorisé ces yachts de millionnaires en les attaquant. Elles étaient essayaient apparemment de les renverser et je trouve qu’il y a quelque chose de vraiment radical et drôle là-dedans. Ce sont donc mes préférées. J’ai aussi observé pendant le tournage l’autopsie d’une espèce appelée « Marsouin de Dall ». Ce n’est pas tout à fait une baleine dans le sens traditionnel du terme, mais plutôt une sorte de mix entre le marsouin et une orque. C’est également une espèce que je choisis comme ma favorite, car c’est avec elle que j’ai eu la plus grande proximité et j’en suis très reconnaissante. 

Souhaitez-vous ajouter quelque chose à propos de Six Knots  

Je suis très intéressée par tout ce qui touche aux notions de subjectivité perçue et subjectivité réelle. Je pense donc souvent à cette citation de Donna Haraway, une philosophe écrivant beaucoup sur l’écologie, qui dit : « Only partial perspectives promise, objective vision : Seules de partiales perspectives sont capables de donner une vision objective. » (Situated Knowledges : The Science Question in Feminism and the Privilege of Partial Perspective, 1988). L’objectivité n’existe donc pas et il est ainsi nécessaire d’explorer, plutôt que de prétendre que nous pouvons tous voir les mêmes choses de la même manière.

Propos recueillis par Noelie Drelon et Carla-Marie Mauquet 

Le film sera projeté le : 

dimanche 23 mars à 18h30 au Reflet Médicis 

jeudi 27 mars à 16h à l'Arlequin 1

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.