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Comment avez-vous rencontré Mahmoud et qu’est-ce qui vous a poussé à filmer son histoire dès le début ?
Sophie Bredier : Comme je le raconte dans le film, en 2010, j'étais en tournage à l'hôpital Saint-Louis pour un autre projet, Mon beau miroir, sur la chirurgie reconstructrice. Ce jour-là, je filmais des consultations quand j’ai rencontré Mahmoud. Il était assis avec ses lunettes de soleil. On lui a demandé s’il acceptait d'être filmé, il a dit oui. Mais ce qui m’a marquée, c’est que, le week-end suivant, je ne pouvais plus penser à rien d’autre. J’avais vu son regard, j’avais entendu son histoire, et quelque chose en moi me poussait à en savoir plus.
Aviez-vous une idée précise du film que vous vouliez faire au départ, ou son évolution s’est-elle imposée au fil du temps et des événements ?
Je pense qu’on ne fait pas souvent des rencontres documentaires qui nous amènent à tout donner pour un film. Avec Mahmoud, j’ai ressenti ce besoin de le suivre sans savoir exactement où cela me mènerait. Il y avait un espoir, celui qu’il recouvre la vue, mais aussi une interrogation plus large sur la vie après un tel traumatisme. Au départ, je pensais simplement filmer son parcours médical, mais très vite, il était question de bien plus : son exil, sa famille, son combat pour exister malgré les épreuves.
Votre voix off est très présente et donne une dimension intime au récit. Pourquoi avoir choisi cette approche narrative ?
C'était une grande angoisse pour moi. J’ai longtemps hésité à inclure ma voix, à trouver le bon équilibre. Mais ce film, c’est aussi l’histoire d’un lien. On ne peut pas raconter une telle relation sans y mettre sa propre subjectivité. Ma voix traduit mes doutes, mes émotions, elle pose aussi la question du regard, de qui regarde qui, et comment on filme l’autre sans le trahir.
Comment avez-vous vécu cette proximité avec lui et sa famille au fil des mois ?
Je me suis très vite attachée à Mahmoud et à sa famille. Sa mère et moi avons noué une relation forte, fondée sur la confiance et le respect mutuel. Ce n'était pas seulement une question de film, c'était une rencontre humaine. Je ne pouvais pas rester une simple observatrice ; leur combat devenait le mien aussi, d’une certaine manière.
Vous avez été contrainte d’interrompre le tournage lorsque Mahmoud a dû quitter la France. Comment avez-vous vécu cette rupture et à quel moment avez-vous décidé de reprendre le film ?
Quand Mahmoud est reparti, j’ai eu le sentiment d’un abandon. Pendant un long moment, je ne savais pas si le film aurait une suite. Puis, un jour, il m’a envoyé une vidéo depuis l'Égypte. C’est là que j’ai compris que l’histoire n'était pas terminée. Il voulait que je continue, alors j’ai repris le fil.
Avec du recul, que retenez-vous de cette expérience et quel message espérez-vous transmettre avec Lumière de mes yeux ?
Ce film m’a habitée pendant plus de dix ans. Il parle de la résilience, de la dignité, de la force qu’il faut pour continuer à avancer quand tout s’effondre. Ce que j’aimerais, c’est que les spectateurs voient avant tout un homme, pas seulement une victime ou un symbole. Un homme avec sa volonté, son humour, ses colères, son humanité.
Propos recueillis par par Valentin Blazevski
Film sera projeté le :
mardi 25 mars à 18h30 à l'Arlequin 1
jeudi 27 mars à 18h45 au Saint André des Arts