Cinéma du réel (avatar)

Cinéma du réel

Festival international du film documentaire

Abonné·e de Mediapart

216 Billets

0 Édition

Billet de blog 26 mars 2024

Cinéma du réel (avatar)

Cinéma du réel

Festival international du film documentaire

Abonné·e de Mediapart

Entretien avec J.P. Sniadecki, Theresa Delsoin, Lisa Marie Malloy et Ray Whitaker

Il existe aux USA un endroit où le temps n'a pas de prise. Sur le pré de Cairo, une petite ville de l'Illinois, on peut encore entendre les voix de toutes les âmes en lutte qui ont résisté sur cette place dans les années 1970, générant un seul et même chant de liberté.

Cinéma du réel (avatar)

Cinéma du réel

Festival international du film documentaire

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Little Egypt Collective

Que serait une ville sans les sons qui se multiplient et se mêlent ? Y a-t-il une mémoire emprisonnée dans les vents, où les voix, les soupirs et le bruissement des feuilles qui ont habité ces lieux se mêlent à tout ce qui les peuple aujourd'hui ?

Theresa Delsoin : Bien sûr, la ville est une série de sons provenant de tous les éléments de l’univers, le vent, le feu, l’air, l’eau et la terre. Tous ces éléments restent les mêmes dans le présent, le passé et le futur de la ville. Rien n’est emprisonné dans les éléments. À Cairo, il y a les sons et les esprits de nos ancêtres avec leurs histoires orales de luttes humaines, de joie et de rire. Sur les terrains où se trouvaient autrefois les Pyramid Courts, il y a les voix de nos mères et de nos pères qui nous parlent et nous encouragent à être forts, alors que nous traversons l’injustice sociale, qui était si cruelle dans une démocratie qui n’était réservée qu’aux Blancs. Alors que les habitants de cette terre mystique appelée Petite Égypte refusaient d’être des victimes, les éléments de l’univers et les esprits du passé les poussaient avec courage à créer un avenir meilleur pour les générations à venir.

Ray Whitaker : Le cinéma a le potentiel de ranimer, d'ouvrir nos esprits et nos compréhensions, et de nous rappeler ce qui est peut-être maintenant invisible à l'œil nu. Il y a beaucoup de souvenirs, de voix et d'esprits, un collectif de sons, de sons silencieux, et les expressions du peuple, de mon peuple, qui construisent et reconstruisent une réalité luttant pour la liberté, et cette réalité ne peut jamais être détruite.

Lisa Marie Malloy : Le son est la source d'inspiration de ce film. Nous disposons ainsi d'une incroyable bibliothèque de sons de la région de Little Egypt : sons environnementaux des bayous, des terres agricoles, des marais ; sons industriels des barges fluviales, des chemins de fer, de l'usine locale de Bungee ; récits et ambiances des communautés locales ; ainsi que des sons d'archives, tels que le disque "On the Battlefield", produit par le Cairo's United Front et qui sert de structure à ce premier film.


Ces mots, suspendus dans ce lieu… Charles “Chuck” Koen… Son énergie, ce piano libre comme un rossignol... Quelle est l'histoire liée à ce lieu ? Que s’est-il passé sur ce terrain et entre ces arbres ?

T.D. : C’est sur ce terrain et parmi ces arbres que s’est opéré un renversement de paradigme : des maisons rouges et beiges à deux étages, peuplées de Noirs opprimés dans une société raciste, ont dit “plus jamais” et commencent une révolution réclamant l’égalité des droits et des opportunités économiques. Le révérend Charles Koen dirige un mouvement sous l’égide du Front Uni de Cairo, implanté à Cairo et à Chicago. Des organisations telles que la NAACP, les Black Panthers, des chefs religieux et d’autres se joignent aux activistes noirs de Cairo. Dans les années 1970, ce sont les bruits de la violence des Blancs, armés et dont l’objectif était de provoquer la peur chez les Noirs qui ont provoqué une révolution. La lutte pour la libération a continué avec un boycott de toutes les entreprises qui refusaient d’embaucher des Noirs, qui dépensaient beaucoup d’argent dans leurs commerces.  Le racisme des Blancs a entraîné la fermeture de tous les magasins et le départ de beaucoup d'entre eux de la ville de Cairo, ce qui a fait ressembler le quartier des affaires de Cairo à une ville fantôme, totalement abandonnée. Cela a provoqué le déclin de l’économie de Cairo. Une autre injustice s’est produite dans le domaine du logement public, sur ce terrain où se trouvaient les Pyramid Courts qui offraient des logements abordables financés par le gouvernement fédéral. En raison de la mauvaise gestion et de la corruption de l’Alexander Housing Authority, les Pyramid Courts ainsi que d’autres logements sont devenus inhabitables et le HUD a dû démolir tous les logements et la plupart des habitants ont quitté Cairo, ce qui a fait diminuer la population de la ville.

R.W. & L.M.M. : Il y a beaucoup de petites entreprises alimentaires appartenant à des Noirs. D'une certaine manière, les Pyramid Courts relient les gens entre eux. C'est encore le cas aujourd'hui, même des années après leur démolition. Que vous ayez vécu à Pyramid Courts ou que vous connaissiez quelqu'un qui y a vécu, on ne peut qu’être ému par ces histoires et par la manière dont nous sommes tous liés les uns aux autres à travers l'espace et le temps.


À travers la personne de Ray Whitaker, nous marchons, nous nous détachons du temps où la caméra filme et nous traversons une sorte de portail temporel grâce au son et à l’image. Qu'est-ce qui vous a permis de créer ce passage ?

J.P.S. : À travers le son et l'image, et leurs convergences et divergences, On the Battlefield appelle à une compréhension stratifiée du temps, où le passé, le présent et l'avenir se rencontrent sur le champ de bataille pour la libération, la justice et la joie.

R.W. & L.M.M. : Nous voulions que le spectateur soit davantage concentré sur le son que sur l'image, car le son est plus parlant que l’image. On peut entendre, percevoir et voir plus de choses dans le son que dans l'image. À travers la conception sonore, on a le pouvoir de créer son propre univers, de placer son public exactement là où on veut qu'il soit. Ainsi, lorsque vous avancez dans un film grâce à l'esprit du son, vous êtes en mesure de voir davantage que ce que vous pouvez réellement voir avec vos yeux. Vous pouvez exploiter les vibrations des sons, écouter de quelle manière les gens portent leur voix – la joie, la colère, la douleur, l'amour, le chagrin, l'excitation, le pardon, l'espoir.

T.D. : Le concept du temps dans On The Battlefield est mystique et semble mystérieux. Il y a une émergence du passé, du présent et de l'avenir comme un tout totalement unifié. Les mouvements du personnage semblent se fondre dans la nature, et les sons de l'espace reflètent l'unité nécessaire à l'amour, à la joie et à la libération sur le champ de bataille.

Propos recueillis par Edoardo Mariani

Projections à Cinéma du réel
Mercredi 27 mars à 18h15 au Forum des Images
Vendredi 29 mars 13h45 au Centre Pompidou, Cinéma 1

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.