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Billet de blog 26 mars 2024

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Entretien avec Matías Piñeiro, réalisateur de tú me abrasas

Matias Pineiro a depuis près d’une décennie, réalisé des films basés sur les rôles féminins dans les comédies de Shakespeare. tú me abrasas, d’après Dialogues avec Leucò de Cesare Pavese, clôt ce « cycle vital ». Le film démarre sur la page du poème de Sapho, sur laquelle Matias Pineiro avait écrit son désir d’en faire un court métrage.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Peliculas Mirando el techo

« C'était il y a plusieurs années – au moment où j'ai lu le livre pour la première fois – et j'ai voulu inclure cette page dans le film parce qu'elle montre mon hésitation. Je ne savais pas comment le texte de Pavese pouvait être filmé. Je travaillais encore sur les films autour de Shakespeare, je savais donc que je ne pouvais pas filmer celui-ci comme les précédents. Dans ce lent travail, au début du tournage, j'avais la Bolex comme grande alliée, avec des limites qui m'ont permis de trouver la mise en scène et tout de suite après, le montage. 

J’avais rencontré Gérard [Borras, le monteur] à l'école de cinéma de San Sebastian. J'étais intéressé par son travail et par le fait de n’avoir encore jamais travaillé avec lui. J'étais intéressé par son regard plutôt vif et tranchant et je n'étais pas attaché au matériau de base. Lui était plutôt attaché au texte de Pavese ou à la poésie. Il y a quelque chose de l'ordre de la fascination pour ces textes et de l'envie de les partager. Je trouve également intéressant qu’il soit quelqu'un qui puisse prendre de la distance. Bien que je travaille toujours avec une équipe réduite, j'ai besoin de collaborateurs, j'ai besoin de cet échange, de ce dialogue, sinon je reste trop dans le monologue. 

Gérard a été une personne fondamentale en ce sens pour pouvoir faire avancer mes idées. Le montage avec lui était quelque chose de très clair. Cela me stimule beaucoup, que quelqu'un vienne avec une vision et une certaine violence à l'égard de ce que vous avez filmé. 

La première chose que je voulais faire était de lire le texte de Pavese. Le texte m'a conduit à la notion de fragment et à me concentrer sur l'étude de Sappho elle-même. En entrant dans le monde de Sappho, l'idée de l'archive apparaît, l'idée de la mémoire apparaît, ce qui est détruit, ce qui est perdu. Alors, d'une manière ludique, je me suis dit : “Faisons un film utile. Un film où le spectateur emporte quelque chose avec lui, de sorte que lorsqu'il traverse le film, il subit une transformation qui ne se situe pas à un niveau émotionnel ou psychologique, mais à un niveau concret ou utile.” Nous avons voulu soumettre le spectateur à un jeu mnémotechnique dans lequel il apprendrait par cœur de la poésie, et ainsi devenir une archive vivante d'une poésie oubliée.
Il me semble que ce geste de cinéma utile a été accompli avec une certaine ironie. La poésie est un chant. Elle est donc à dire, à mémoriser. Il me semblait important que le film soit tourné sur pellicule, qui est encore le moyen par lequel on préserve le cinéma, et ici c’est comme un outil de préservation de la poésie. En ce sens, j'ai cherché plusieurs manières dynamiques de faire circuler les poèmes, par le montage, mais aussi par le choix du titre du film. J'ai toujours voulu que ce soit un poème de Sappho : Tu me abrasas est celui qui est resté. Admettons que certains spectateurs oublient les poèmes du film, ils se souviendront à minima du titre, et auront donc appris un poème. 

tú me abrasas est le début d'un nouveau cycle, une série de films qui vont dialoguer avec la littérature. J'avais l'intention que le titre soit un poème de Sappho, parce qu'il me semblait que même si le film est une version d’Écume d’onde, je pensais qu'il est important que le titre ne soit pas de Pavese, parce que sinon Pavese gagnerait. 

Pour moi, le cinéma a toujours été un moyen de partager, d'être stimulé par un matériel qui a généralement toujours à voir avec la littérature, mais qui peut aussi avoir affaire avec le paysage urbain, avec les choses qui existent dans la ville, et vouloir les partager, partager des éléments qui semblent un peu isolés. Je pense qu'une des choses que j'aimerais le plus avec les films, c'est qu'ils donnent envie de lire, qu'ils donnent envie de poésie, de lire de la poésie. Je pense que c'est aussi ma relation au cinéma, elle a à voir avec le fait d'essayer d'amplifier un peu la vie.

La dernière scène, après qu’on ait tant évoqué la mer et montré tant d'images sonores de la mer, est un moment d’abandon. Le geste était simple, capturer l’action de s'immerger dans la mer. Tous les films que je fais sont faits de fragments, beaucoup de blancs pour que le spectateur puisse participer et ajouter le sien. La question est quelle distance laisser entre les espaces pour que la structure soit forte mais pas oppressive, pour qu'elle permette à certains de lire ces différentes choses et à d'autres personnes de lire d'autres choses ? Le plan dure presque trois minutes, un combat de fragments. C'est un des plans les plus longs du film. Comment parvenir à ce que tout ne soit pas d'un seul bloc, que tout ne soit pas univoque, que tout ne soit pas si direct, que tout soit un peu plus tordu, plus queer, disons. Comme des chemins qui seraient plus des détours que des lignes droites.
Il y a beaucoup de choses qui ont été laissées de côté pour le film et que j'aimais, mais il faut trouver le bon équilibre. 

Je reviens toujours à la même chose, qui est de trouver des figures qui offrent des paradoxes, qui ouvrent sur autre chose. Comme partir d’images culturellement construites et être capable de les rouvrir, de les remettre en circulation et de les laisser s'entrechoquer un peu, de les laisser se mélanger, de les laisser s'écraser l'une l'autre. Comprendre qu'il n'y a pas qu'une seule vision et que cette mer, vue d'une certaine manière, est un signe de mort, mais aussi un signe de vie. Il n'y a pas l'un ou l'autre. Et dans cette irisation des images, il n'y a pas qu'une seule couleur. Il est possible de continuer à vivre dans ce va-et-vient, dans ce doute, dans cette ambiguïté. Et finalement, au vingt-et-unième siècle, on veut que le cinéma retrouve une certaine ambiguïté de l'expérience, non ? » 

Propos recueillis par Raphaëlle Zittoun

Projections à Cinéma du réel

Dimanche 24 mars 18h30 au Centre Pompidou, Cinéma 1
Mardi 26 mars à 16h15 au Forum des Images 

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