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Né en 1976 à Changsha, dans le Hunan, Zhou Tao a étudié à l’académie des Beaux-Arts de Guangzhou, où il s’est d’abord intéressé à la peinture. De peintre, il passe cinéaste en 2013 avec After Reality, qui, à travers la juxtaposition d’images de Guangzhou et de Paris, interroge ce qui fait l’identité d’une ville et le rapport qu’entretiennent les habitants à leur lieu de vie. Les films qu’il réalise ensuite (Blue and Red en 2014, 1234 en 2016, Land of the Throat la même année et The Worldly Cave en 2018) continuent d’explorer les tensions entre différents lieux et commencent à articuler une réflexion sur la place de l’homme dans la nature, à travers un style énigmatique clairement influencé par l’art de la performance. Dans The Periphery of the Base, Zhou Tao poursuit son sujet dans le désert de Gobi, où il part à la rencontre des ouvriers travaillant sur les nouveaux chantiers qui doivent aménager le désert.
Comment vous est venue l’idée de faire ce film ?
C’est un ami qui m’a parlé de cette région du nord de la Chine. J’y suis allé, et j’ai tout de suite voulu filmer ces paysages désertiques, dans lesquels la présence humaine semble si étrange, presque irréelle. En ce moment, il y a plein de nouvelles constructions dans ces régions. On voit tous ces gens qui s’agitent pour remodeler le paysage ; je trouvais ça assez fascinant… Je voulais interroger la place des hommes dans ces territoires-là, ce que signifie leur présence.
Pourquoi avoir choisi une manière de filmer où l’on sent autant la présence de la caméra ?
Je voulais montrer le contraste qu’il y a entre ces territoires désertiques, les personnes qui y travaillent, et les constructions en cours. Au début du film, le fait de couper la grande profondeur de champ du plan avec des voitures qui passent au premier plan, complètement floues, était une manière de signaler cette artificialité, comme une présence autre. C’est le cas aussi lorsque deux ouvriers sont en train de travailler, et que le plan est coupé par les voitures de la même manière. À la fin du film, le fait de choisir une image carrément floue souligne encore ce sentiment d’altérité, mais cette fois-ci vis-à-vis du paysage lui-même. Je me sers de la caméra comme d’un personnage ; elle est un prolongement du regard du cinéaste mais aussi un outil technologique, plus insensible en ce sens. Je veux que le travail de la caméra soit visible parce que c’est une manière de tester ses limites, de la présenter aussi comme un outil faillible. Les caméras ont connu de telles améliorations depuis leur invention, c’est incroyable. Et pourtant, la caméra n’est pas capable de tenir le réel d’un bout à l’autre, de tout comprendre dans un même plan. Aujourd’hui, avec les intelligences artificielles, il est très facile de truquer une image, ou de proposer un paysage irréel extrêmement vraisemblable. C’est aussi pour ça qu’il est essentiel d’exposer les faiblesses de la caméra. C’est une façon de montrer que c’est seulement un outil, toujours une lecture du réel et pas le réel lui-même.
Si elle est toujours une lecture du réel et pas le réel lui-même, pourquoi s’acharner à filmer ?
Parce que curieusement, je reste attaché à l’idée qu’il y a quelque chose à préserver de ce qui existe. Quand j’étais enfant, les technologies étaient beaucoup moins perfectionnées qu’aujourd’hui, le problème ne se posait pas de la même manière… pas autant disons. Les images n’avaient pas le même poids il me semble. Ce qui m’intéresse, c’est de filmer la façon dont les gens interagissent physiquement avec les lieux, leur présence. Évidemment, le film ce n’est jamais la situation même, mais je crois qu’en insistant sur la présence de la caméra, comme je le disais précédemment, je parviens à trouver un équilibre.
Comment avez-vous choisi le titre ?
J’ai choisi « The Periphery of the Base » parce que je crois que les choses se devinent comme ça, de côté en quelque sorte. La périphérie est souvent bien plus intéressante que le centre, et dans ce cas précis, ce qui m’intéressait ce n’était pas de filmer les chantiers à proprement parler, ou une histoire qui se déroulerait dans le cadre de ces chantiers. Non, ce qui m’intéressait vraiment c’était de montrer la façon dont se déployait les hommes au sein de ce cadre, sans y appartenir réellement.
Propos recueillis par Ariane Guillet
Projections à Cinéma du réel
Mercredi 27 mars 18h15 au Forum des Images
Jeudi 28 mars 18h à la Bulac
Vendredi 29 mars 13h45 au Centre Pompidou, Cinéma 1