
Agrandissement : Illustration 1

Avant que je vous demande quoi que ce soit, y’a t-il quelque chose que vous souhaiteriez dire sur votre film ?
Que puis-je dire ? Mon film est vraiment simple, presque minimaliste. (Il réfléchit) J’ai commencé à travailler sur ce projet et filmé les premières images au Japon en 2019, avant le COVID. Pendant le COVID cependant, je ne pouvais pas retourner au Japon ce qui m’a forcé à développer mes idées plus en profondeur. J’ai pu mieux réfléchir à la manière dont je filmerai et monterai le film.
En tant qu’enseignant, pourquoi est-ce important pour vous de continuer à créer des films ? Les utilisez-vous parfois comme des supports de cours ?
Je pense qu’enseigner est excellent pour me permettre de réfléchir sur mon propre travail de réalisateur. Du fait d’être encore actif, je peux également échanger sur mon expérience artistique personnelle avec mes étudiants. Je ne fais pas de cours unilatéraux, au contraire j’ai une relation de partage avec mes élèves dans laquelle chacun enseigne à l’autre.
Vous arrive-t-il d’être influencé par vos étudiants ? Partagent-ils parfois des projets qui affectent votre démarche artistique ?
Je ne suis pas influencé directement par tel ou tel film présenté par un élève, non, mais l’environnement scolaire a sur moi une influence organique qui me permet de grandir en tant qu’artiste. Enseigner et converser avec mes étudiants est une partie importante de ma pratique en tant que réalisateur. Mon travail me permet de réfléchir aux aspects cinématographiques qui m’intéressent le plus, les éléments formels du cinéma particulièrement, et discuter ensuite de ces aspects avec mes élèves me permet de développer mes idées.
Pourriez-vous parler de vos influences dans le monde du cinéma ? Ces influences ont-elles changé entre votre premier Sketch film (2005) et maintenant ?
Mes professeurs m’ont beaucoup influencé, par leur manière d’enseigner et les films qu’ils choisissaient de nous montrer. Quand je me suis lancé dans le cinéma, j’étais passionné par la manière dont, en diffusant des images à une certaine fréquence, un projecteur créait une sensation de mouvement. A cette période, je prenais énormément de photographies puis je les assemblais pour produire des animations abstraites [voir Sketch Films #1 à #4 - NDLR]. Plus tard, j’ai réalisé que j’utilisais toujours ma caméra dans des espaces publics, et mon intérêt a basculé vers l’idée de documenter ces espaces. J’ai développé un intérêt pour les techniques de manipulation de la caméra, la double voire triple exposition par exemple. J’ai passé plusieurs années sur différentes techniques similaires mais aujourd’hui je ne fais plus vraiment ce genre de manipulations. Je m’intéresse davantage à des choses comme la durée des plans en relation à la structure générale du film. En 2019 par exemple, j’ai réalisé Amusement Ride dans lequel il n’y a que 12 plans ayant chacun exactement la même durée, environ 28 secondes. Je trouve cette idée de durée constante entre les plans très intéressante. Je dirai donc que les Sketch films étaient traités images par images, alors que mes plus récents projets sont axés autour de plans longs.
Vous avez exprimé votre intérêt pour la matérialité du cinéma, est-ce quelque chose que vous souhaitez absolument explorer à travers le documentaire ou avez-vous déjà considéré d’autres genres, comme la fiction ?
Non, je ne souhaite pas faire de fiction. Je fais également des performances live dans lesquelles je produis simultanément du son et de l’animation abstraite, mais ce sont des projets périphériques. Je veux avant tout faire des courts métrages basés sur l’observation.
La quasi intégralité de vos projets est disponible sur Vimeo, ce qui vous confère une accessibilité assez rare dans le milieu du cinéma indépendant, pouvez-vous nous en parler ?
Grâce à mon métier d’enseignant, je n’ai pas besoin de chercher à générer du profit avec mes courts métrages, et même si je le souhaitais je doute qu’ils puissent me rapporter de l’argent (rires), j’aurai besoin d’avoir un travail à côté quoi qu’il en soit. Je souhaite avant tout rendre mes films disponibles à quiconque est intéressé, mais l’industrie ne fonctionne pas de cette façon et beaucoup de réalisateurs indépendants ne peuvent pas se permettre cela.
Quelle est votre relation au monde du cinéma ?
Je ne regarde pas de films, du moins pas les films conventionnels qu’on peut voir pendant un trajet en avion. Je visionne des films expérimentaux chez moi ou en festivals, mais c’est tout. Ce n’est pas dû à une posture personnelle, je suis convaincu qu’il y a énormément de très bons films, mais j’ai beaucoup de mal à en trouver qui me plaisent. Je passais auparavant plus de temps à en voir mais je n’en appréciais que très peu et je m’en suis alors éloigné au fil du temps. Je préfère aujourd’hui lire, notamment des mangas et de la littérature japonaise.
Y’a-t-il des artistes qui dans d’autres domaines artistiques ont une approche que vous diriez similaire à la vôtre ?
Dans la littérature c’est difficile à dire puisque les livres sont généralement basés sur une ligne narrative définie, ce qui n’est pas le cas dans mes films. Par contre dans la musique oui, car c’est un art plus abstrait. Des exemples contemporains seraient John Cage, Terry Riley ou Steve Reich. Bien que j’utilise l’image et que ce soit plus figuratif que la musique, la manière dont je travaille cette image et ma manière d’aborder le montage rapproche la structure de mes films du travail de ces compositeurs.
Avez-vous déjà envisagé d’intégrer d’autres formes d’arts à vos films, par exemple superposer à l’image la musique contemporaine que vous appréciez ?
Lors de mes performances live j’ai déjà travaillé avec des artistes qui produisaient du son pendant que je produisais des images, mais lorsque je termine un projet, qu’il soit muet ou sonore, j’ai le sentiment qu’il est déjà complet et que rien n’est à ajouter, c’est donc difficile pour moi de considérer ce que le son ou un autre art pourrait y apporter.
Propos recueillis par Octave Hazoumé
Projections à Cinéma du réel
Mercredi 27 mars à 16h15 au Forum des Images
Vendredi 29 mars à 18h30 au Centre Pompidou, Cinéma 1