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Le film suit Boogie, un batelier, dans son travail. Comment l'avez-vous rencontré et pourquoi avez-vous décidé de centrer le film sur son histoire ?
SDH : Toute personne qui se rend à l'intérieur du Suriname dépend des bateliers. Il n'y a pas de routes, seulement des voies navigables. Les bateliers connaissent les rivières et leurs communautés. Lorsque Tolin a proposé de suivre un batelier dans le film, nous avons immédiatement imaginé comment cela permettrait à l'œil de la caméra de naviguer sur le fleuve, transportant le spectateur dans différentes communautés et lieux fluviaux, immergé dans la dynamique d'un voyage éprouvant à travers un labyrinthe de rivières, de rapides, de rochers, d'îles et de criques.
LVB : Nous avons passé quelques semaines dans le port de la ville frontalière d'Albina, à la recherche de bateliers. C'est là que nous avons rencontré Boogie. Il construit ses propres bateaux, connaît son histoire et est fier de la culture Marron. En même temps, c'est un entrepreneur qui a toujours un pied dans le «Monikondee » (Money country : pays de l’argent, NDLR).
TA : Boogie est un véritable connecteur de la rivière. Il a grandi dans un village où les autochtones et les Marrons cohabitent pacifiquement. Chaque mois, il livre du carburant au peuple autochtone Kalina, à l'embouchure de la rivière. Ses parents sont issus de deux peuples Marrons différents. Sa femme est chrétienne et vit en Guyane française, tandis que sa grand-mère est prêtresse dans le système de croyance traditionnel des Ndjuka, qui implique de nombreux rituels en l'honneur de la Terre mère. Tous ces facteurs ont fait de lui un personnage intéressant à suivre dans le film.
De temps en temps, le film s'éloigne du voyage de Boogie pour offrir des aperçus de la vie d'autres personnes. Pourquoi était-il important pour vous d'intégrer des perspectives multiples ?
TA : Le Suriname est une société diversifiée, avec de nombreux groupes ethniques, cultures et langues. Même au cœur de la forêt tropicale, dans la région frontalière entre l'est du Suriname et la Guyane française, la population est diverse. Des Chinois aux indigènes, en passant par les différentes tribus Marrons, les Brésiliens et les Français, tous vivent ensemble dans le même bassin hydrographique. Le film vise à mettre en valeur cette diversité. Les différentes communautés ont l'occasion de partager quelque chose d'essentiel sur elles-mêmes.
LVB : En tant qu'Occidentaux, nous avons remarqué qu'au Suriname, il est courant de donner aux autres groupes culturels l'espace nécessaire pour raconter leur propre histoire. Le postulat occidental selon lequel on peut parler de tout le monde ne semble pas s'appliquer ici.
TA : Ceci est également lié à la tradition de narration du Marron mato. Dans le mato, un conteur principal raconte, mais le public peut toujours l'interrompre avec sa propre histoire. L'histoire principale se poursuit, mais les interruptions ont leur propre valeur. Elles ne sont pas moins importantes, même s'il s'agit de tangentes sans rapport avec le récit principal.
Vos films impliquent les communautés locales. La scène finale, où les participants regardent le documentaire, est particulièrement frappante. Pouvez-vous nous en dire plus sur la façon dont vous avez travaillé avec les personnes impliquées dans Monikondee ?
TA : Nous avons commencé le projet par une période de recherche intensive. Nous avons rendu visite aux communautés locales et discuté de ce à quoi elles jugeaient important de contribuer. Sur cette base, nous avons créé un projet de scénario. Nous sommes ensuite retournés dans les communautés pour discuter du scénario au cours de krutu (réunions de village). Les communautés ont sélectionné les personnes qui joueront dans le film. Tout au long du processus, nous avons expliqué aux « acteurs » comment se comporter face à la caméra. Pour la plupart d'entre eux, cela s'est fait naturellement et ils ont fini par ne plus remarquer la caméra.
LVB : Une fois le montage presque terminé, nous avons organisé un week-end de projection et invité les participants à regarder le film et à donner leur avis. Comme vous pouvez le voir dans le film, la projection a été très animée, avec des applaudissements et des cris de joie. Une discussion s'en est suivie, au cours de laquelle les participants ont réfléchi à la transformation de leur culture.
SDH : Les films Soy Cuba de Kalatozov et Chronique d'un été de Rouch et Morin ont inspiré ce projet. Soy Cuba a été filmé à l'aide d'un objectif grand angle extrême, la caméra étant constamment en mouvement. Cela souligne la façon dont les gens se déplacent dans le paysage, en travaillant, en se rassemblant ou en voyageant. Chronique d'un été se termine par une discussion après la projection. Nous avons essayé d'adopter ces stratégies dans le film. C'est pourquoi il est très spécial pour nous que Monikondee soit présenté en avant-première à Cinéma du réel, un festival cofondé par Rouch, avec une projection à l'Arlequin, le cinéma où Soy Cuba a été présenté en avant-première française.
Propos recueillis par Eva Coatanéa
Le film sera projeté :
Mecredi 26 à 13h45 à l'Arlequin 1
Vendredi 28 mars à 19h au Saint André des Arts
Samedi 29 mars à 10h à la Bulac