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Billet de blog 29 mars 2025

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Entretien avec James Benning, réalisateur de « little boy »

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© James Benning

Quand avez-vous pensé à ce projet, quel en a été le point de départ ? 

Je pense que c’était il y a environ un an, et il m'est venu à l'esprit lorsque mon film American Dreams (Lost and Found) [un documentaire de 1984, ndlr] est ressorti, après sa restauration. À ce moment-là, j'ai voulu faire un nouveau film qui soit en rapport avec American Dreams qui est, quand j'y ai pensé, un film de passage à l'âge adulte pour moi. Maintenant que j'ai largement dépassé l'âge adulte, j'ai pensé à un film qui serait un résumé des politiques qui ont été menées tout au long de ma vie. Une fois que j'ai eu cette idée, je me suis dit que j'allais la réaliser du point de vue d'un petit garçon. Alors, j'ai voulu faire des maquettes de chemins de fer pour faire référence à une sorte de passion d'enfance, lorsque je construisais des trains miniatures. J'ai demandé à huit personnes différentes de les peindre pour moi, car je trouvais intéressant de voir comment chaque personne peindrait différemment en fonction de son âge et de sa connaissance du monde. Leurs mains vieillissent au fur et à mesure que le film avance. En commençant par un enfant de huit ans, je voulais un groupe de personnes, de garçons et d'hommes, aux origines très diverses. Dans un sens, il s'agit donc d'un film très simple, mais qui aborde des questions très complexes. 

Peut-on qualifier le film d'autobiographique ? Qui est ce « little boy » ? 

Oui, d'une certaine manière. « little boy » est une référence à la bombe qui est tombée sur Hiroshima. Il y a aussi une chanson, « What did you do in school today, little boy ? », qui apparaît dans le film. Au début, vous avez une musique d'ado et l'enfant de huit ans est le premier à peindre et, tout de suite, la chanson parle d'un petit garçon. J'aime le jeu autour de ce mot dans ma vie. 

Les modèles peints par les garçons dans le film ressemblent à des maisons ou à des usines. Comment avez-vous pensé à ces constructions, pourquoi celles-ci ? 

Il s'agit en fait de modèles à l'échelle pour le modélisme ferroviaire. C'est un très petit calibre, donc ces modèles sont très petits. Le petit bâtiment jaune fait environ cinq centimètres. J'aime l'idée qu'ils soient très petits et que nous les peignons pour qu'ils aient l'air très vieux et usés par les intempéries. J'ai grandi à Milwaukee, une ville industrielle, où l'on trouve beaucoup de vieux bâtiments et de zones industrielles qui ressemblent beaucoup à ces maquettes. Les couleurs des maquettes sont toutes issues de mes recherches et, dans un sens, j'introduis ma propre vie dans ce film d'une manière très subtile (comme la couleur des briques). Les bâtiments eux-mêmes portent des noms : j'ai créé mes propres noms d'usines, qui font référence aux usines d'armement qui produisent aux États-Unis des bombes et gagnent de l'argent grâce à la guerre. D'une certaine manière, il y a mon expérience de la vie à proximité de ces sites industriels et de ces bâtiments. Mais cela fait référence à quelque chose de plus grand que cela, au grand complexe militaro-industriel contre lequel Eisenhower nous met en garde dans le premier discours. C'est ainsi que tout commence à se connecter.

Il y a une grande diversité de personnalités qui interviennent dans le film, comment avez-vous choisi les discours ? 

Cela a été très difficile, mais j'ai essayé de choisir des discours qui me semblaient faire référence au type de vie politique que j'ai vécu. Le discours d'Eisenhower, je l'ai utilisé dans de nombreux films avant celui-ci. J'aime reproduire des sons provenant d'œuvres antérieures qui renvoient à cette œuvre. C'était donc l'un des premiers, mais je savais que je voulais des discours plus radicaux, afin d'avoir tous les points de vue politiques. Je voulais aussi des interventions comme celle du président Reagan, qui ment complètement – on pourrait presque penser que j'aime Reagan dans ce discours, parce que c'est un merveilleux communicant mais un fieffé menteur. Il en va de même pour Hillary Clinton. Je voulais aussi quelque chose sur la question environnementale : il y a donc ce discours d'une jeune fille [Severn Cullis-Suzuki, ndlr] qui est remarquable à deux égards : il montre l'activisme d'un jeune enfant, mais il remet aussi en question le langage du discours qui, à mon avis, a été écrit par un adulte. Tous les discours ont une signification particulière pour moi, mais j'aurais pu en choisir huit autres qui auraient pu fonctionner aussi. C'était une question d'équilibre entre les deux. Helen Caldicott, qui vient d'Australie, a prononcé quelques discours dans American Dreams et ici dans ce film : cela me semblait bien de relier les deux films en terminant celui-ci par un de ses discours. Elle remet l'Amérique à sa place et j'aime ce qu'elle dit. J'ai mis les discours dans un ordre particulier, puis j'ai essayé de trouver des chansons qui se rapportaient aux discours plus ou moins directement ou qui faisaient référence à l'ensemble du film. 

L'utilisation des chansons est parfois mystérieuse, même si elles semblent liées à l'ensemble du film, comme la chanson de Pete Seeger. Comment avez-vous choisi ces chansons ? 

La première est de Ricky Nelson. Il avait une émission de télévision sur la vie de sa famille, une famille de musiciens. Ricky Nelson est devenu un chanteur pop et, à l'âge de 16 ou 17 ans, il faisait partie d'un groupe de rock dans l'émission et il est devenu une rockstar dans la vraie vie – et j'avais son âge... J'ai utilisé cette chanson en premier, parce que je pensais qu'elle faisait référence à ma propre vie. La chanson « Dancing in the streets » est sortie à l'époque où il y avait des émeutes dans les villes américaines – les grands médias n'autorisaient pas la diffusion de cette chanson, ce qui lui confère un contexte politique très fort que la plupart des gens ne connaissent plus. Les choix sont donc à la fois très intimes et très politiques. C'est très intéressant qu'une chanson pop puisse être diabolisée et retirée de la radio à cause des structures de pouvoir. Je voulais choisir une chanson dans une langue différente et j'ai utilisé Nat King Cole chantant en espagnol. J'avais alors deux cultures qui ne correspondaient pas, j'ai cassé ce que le spectateur pensait qu'il se passerait. Et cette chanson fait référence au discours [du syndicaliste César Chávez, ndlr]. Parfois, je ne me souciais pas de savoir si elles allaient ensemble et parfois je voulais qu'elles se rejoignent. Je voulais cette variété étrange, un caractère aléatoire proche de la réalité. Chacun peut voir un film différent.

On a parfois l’impression que ce "little boy" est non seulement vous, mais aussi une adresse aux enfants d’aujourd’hui, qui vivent dans notre monde, dans l’Amérique de Donald Trump. Avez-vous pensé ce film aussi dans cette perspective ? 

Bien sûr, bien que mes films ne soient vus que par très peu de personnes dans le monde. Aux États-Unis, ils sont peut-être encore moins montrés que dans les autres pays. Mais les gens connaissent mon travail par internet. C’est un film très personnel et je fais des films pour moi-même, pas pour une audience. Et quand je l’ai fini, je pensais que personne ne pourrait le regarder. Mais j’ai ensuite été surpris que les spectateurs aient apprécié écouter les différents discours et qu’ils aient senti un certain nombre de nuances. 

Quelles nuances ? 

L’âge des mains qui peignent les maisons, la façon dont ces mains sont plus ou moins expérimentées. D’ailleurs, c’était vraiment complexe. J’avais construit une table et un décor fait d’une grande feuille de papier noir de telle façon à ce qu’ils devaient tous passer leurs bras au-dessus du grand papier noir, ce qui les mettait dans une situation très inconfortable… Ce que j’aimais bien parce qu’il fallait être debout et si la chanson durait cinq minutes, il fallait tenir cette position très inconfortable tout en peignant, ce qui produit des petites différences entre les peintres. 

Avez-vous voulu faire de little boy un film historique ? 

Ce que les garçons font pendant le film lie le T-Rex à la bombe. Le T-rex lui-même a été détruit par une météorite qui a déclenché une explosion qui a permis aux primates d’advenir. On ne serait pas là sans la disparition des T-rex. Ensuite, on a créé quelque chose qui pourrait nous faire disparaître comme ça a fait disparaître le T-rex. C’est à vous de compléter l’histoire. C’est terrifiant, quand on peut faire ça… Et j’ai fini le film l’été dernier, je l’ai montré jusqu’à aujourd’hui et Trump est arrivé au pouvoir alors c’est devenu un tout autre film, dans le contexte de ce monde qui devient si fou. Maintenant on a l’impression que la folie va basculer en non-folie. Trump pourrait détruire toute la Droite, détruire tout le monde. Il est arrivé et a créé sa base électorale à partir des Blancs pauvres et apolitiques qui ont été facilement manipulés parce que le parti Démocrate, qui était censé les représenter, n’a jamais rien fait pour eux, pour les pauvres, bien qu’il leur fasse croire qu’il a fait quelque chose. Ils sont frustrés. Trump devient président et conquiert cette base électorale facilement… et maintenant il semble qu’il est sur le point de détruire l’économie mondiale. Et s’il continue, cela peut avoir un effet qu’il n’avait pas prévu sur les politiques conservatrices mises en place depuis 40 ans en Amérique, ce qui pourrait être intéressant. Si sa folie pouvait nous sauver… Son poison. Nous n’avons jamais eu de gouvernement de gauche, c’est pourquoi je pense que Trump est si populaire : les gens ont besoin d’un gouvernement de gauche, ils n’en ont pas et ils sont énervés, épuisés… Je ne sais pas, ce n’est pas très optimiste comme constat. 

Il y a huit personnes crédités au générique, à la fin, qui sont ces personnes ? 

Le premier est un jeune garçon iranien, de huit ans. L’avant-dernier homme qui peint dans le film est un très bon ami à moi, qui travaille avec moi et qui est marié avec une iranienne. Le petit garçon du début est son neveu. Il y a aussi un de mes étudiants d’Italie, un de mes ex-étudiants de République Dominicaine, qui a fait récemment un film sur un hippopotame [Pepe, Nelson Carlo de Los Santos Arias, ndlr]. Il y a un de mes étudiants chinois diplômé depuis deux ans. Ensuite, il y a un cinéaste sud-africain qui enseigne avec moi dorénavant. Pour la plupart, ce sont des cinéastes que je connais. Le plus jeune a 6 ans, le plus vieux en a 81, c’est moi.

Propos recueillis par Auguste Schuliar et Sacha Festy

Le film sera projeté : 

Dimanche 23 mars à 21h15 au Reflet Médicis

Mercredi 26 mars à 16h30 à l'Arlequin 1

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