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Billet de blog 31 mars 2022

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Entretien avec Amédée Pacôme Nkoulou, réalisateur de Boxing Libreville

Dans Boxing Libreville, Amédée Pacôme Nkoulou raconte le parcours d’un jeune boxeur, Christ, démuni mais qui lutte et se bat pour devenir un grand champion. Dans le contexte de la présidentielle de 2016 au Gabon, le cinéaste s’attache à ce personnage tout en décrivant, en toile de fond, une situation politique complexe.

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Comment avez-vous rencontré le personnage de Christ et comment est venu votre désir de film ?

Mon envie de faire un film a commencé en 2013, après la fin de mes études de cinéma au Burkina Faso et en Suède. J’avais déjà réalisé un premier court-métrage de fiction et je voulais faire un film sur le regard de la jeunesse gabonaise vis-à-vis de la société et de la politique.
En 2014, je me promenais à Libreville lorsque j’ai vu une foule immense qui entourait un jeune boxeur qui combattait sur un ring, c’était Christ. C’était impressionnant de voir la communion entre ce jeune et la foule qui l’encourageait.
Je l’ai rencontré, il y a eu une réelle connexion entre lui et moi et l’idée de faire un film autour de lui m’est venue. Je trouvais que ce jeune boxeur était représentatif des luttes politiques de cette jeunesse gabonaise. J’ai tout de suite senti son côté réservé et je devais entrer en connexion avec lui pour qu’il s’ouvre à moi mais aussi pour que je m’ouvre à lui. On a cheminé ensemble pendant un an et demi, je suis allé voir ses matchs de boxe dans tout le pays. Un lien fort s’est créé entre nous.
On a commencé à tourner en 2016, parfois on oubliait que la caméra tournait, on était dans notre bulle. Cela m’a permis de capter des scènes d’intimité entre lui et sa petite amie. La caméra a saisi ces moments très forts et cet univers de manière naturelle.
De plus, quand j’ai commencé à tourner en 2016, il y avait les élections présidentielles dans le pays et on pouvait faire un lien, un parallélisme entre ce boxeur, ses rêves de victoire et de participation aux jeux olympiques au Brésil avec le combat politique qui s’animait à Libreville à ce moment-là.

 
On ressent une forte tension voire une gravité chez Christ. Peut-on faire un parallèle entre l’état d’esprit du personnage et la situation politique étouffante du Gabon ?

Oui, lorsque j’ai rencontré Christ, j’ai compris qu’il s’exprimait peu et qu’il était beaucoup dans l’intériorité. Petit à petit, il s’est ouvert.
De la même manière, le Gabon est une société pacifique qui peut donner l’impression d’être fragile mais qui peut aussi être très puissante quand elle ne se sent pas écoutée. Dans ce contexte politique étouffant, les citoyens ont un fort espoir de sortir de ce système et de vivre en démocratie avec le principe d’alternance.
Par ailleurs, la boxe est un sport très cinématographique et avec celle-ci je voulais exprimer cette tension. En effet, le fait d’évoquer cela du point de vue de ce boxeur, je trouvais que cela faisait fortement écho ave la situation politique.


On ressent dans votre film une déconnexion et une perte de confiance du peuple avec la politique, comment analysez-vous cela ?

Les Gabonais ont vécu une élection présidentielle en 2009 après la mort d’Omar Bongo.
Il y a eu un engouement dans la population, avec l’espoir de changer de système. Ali Bongo a pris le pouvoir et sept ans plus tard, il y avait beaucoup de déception.
En 2016, la volonté et l’espoir de changer le système politique en place depuis des années étaient très forts mais il y avait aussi beaucoup de réticence et de scepticisme. J’ai filmé des personnes qui sont déconnectées et démoralisées car même si elles croient au changement, le système est trop implanté et va passer de force. Ils ont le sentiment que leurs voix ne comptent pas et qu’elles vont vivre comme cela indéfiniment.
Il y a une distance qui s’est créée entre la population et la jeunesse d’un côté et la politique et la société de l’autre. On sent cette distance chez les personnages du film qui ne croient plus en la politique et qui veulent vivre à travers leurs combats, leurs luttes, leurs sports etc.
Même si le changement n’arrive pas tout de suite, ils luttent pour survivre et croient à des lendemains meilleurs.


On perçoit dans le film une forte violence collective dans la rue ainsi qu’une violence plus individuelle chez Christ lorsqu’il boxe. Comment percevez-vous et avez-vous voulu représenter cette violence ?

La boxe est tout d’abord une passion pour Christ, j’ai voulu représenter cette violence à travers celle-ci. La boxe peut être perçue comme violente mais la politique l’est tout autant. Au Gabon, les hommes politiques, pour montrer qu’ils sont forts et importants, font souvent référence à ce sport en disant qu’ils sont de grands boxeurs et qu’ils sont prêts à en découdre avec leurs adversaires politiques. De plus, on peut aussi dire que la société et la jeunesse font aussi partie de leurs adversaires. En effet, il y a un réel combat de boxe entre la politique, la jeunesse et la société.
Dans le film, on note que politiquement les choses n’ont pas évolué mais il y aura un nouveau combat de boxe en 2023.


Vous avez fait le choix d’évoquer la situation politique de manière indirecte, en voix off, avec l’utilisation d’extraits de JT par exemple, pourquoi ce choix ? 

Lorsque j’ai commencé à réfléchir à la structure et à la narration du film, je ne voulais pas montrer à l’image ce que l’on allait entendre. On retrouve aussi un match et un combat entre l’image et le son. J’ai donc travaillé avec ma monteuse la manière dont on allait pouvoir raconter le combat politique.
Je ne voulais pas que la narration du politique, qui est en soi un personnage, soit dominante mais plutôt l’évoquer en toile de fond de l’histoire de Christ. J’ai réfléchi à cette question afin de créer ce contraste avec l’histoire de Christ, par sa discrétion et son aspect réservé.
Je ne voulais pas montrer directement les hommes politiques et leur campagne électorale. Les spectateurs connaissent tout cela et je ne voulais pas reprendre cela en images.

 
Comment le film a-t-il été accueilli au Gabon et dans le monde ?

Le film qui a une forte résonnance politique a été très bien accueilli à l’international, on a fait une cinquantaine de festivals mais au Gabon les choses ont été un peu plus difficiles. On se demandait si les politiques allaient accepter qu’il soit montré et au début on ne pouvait pas le diffuser au Gabon.
L’année dernière, l’Institut français du Gabon m’a appelé et a projeté le film, il y a eu un très bon accueil.
Les spectateurs ont été surpris de découvrir ce genre de documentaire. Normalement, au Gabon, les documentaires présentent le point de vue des politiques, qui racontent leurs actions et ce qu’ils font.
A Libreville, le film a été très bien accueilli. J’étais content de voir que les spectateurs se sont retrouvés dans le point de vue de Christ. Ils se sont reconnus dans sa manière de se battre, de lutter et même si cela ne marche pas, de garder espoir.

Propos recueillis par Benjamin Hausser

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