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Dans vos films, vous êtes porté par les thématiques de la construction de l'espace et de l'aménagement de son milieu de vie par l’homme. Qu'est-ce qui vous porte vers cette thématique particulière ?
Il y a quelque chose qui m’intéresse depuis longtemps, c’est ce moment où un projet a été annoncé et n’a pas encore été réalisé. C’est ce temps intermédiaire où on sait que quelque chose va arriver mais n’est pas encore là avec tout ce que cela comporte comme possibilité de projection. Ça correspond aussi à ce qu’on fait dans les films, entre l’intention première et le film fini. Après coup, on voit ce qui a bougé, là où le film est finalement allé et qu’on ne pouvait pas forcément soupçonner.
Dans Zone of initial dilution et Sud eau nord déplacer, vous portez votre regard vers de grands aménagements, en Chine, loin de la France. Qu’est ce qui a motivé ce mouvement de retour et vous a porté vers ce projet particulier, à Bordeaux ?
Je me suis demandé si j’avais besoin d'aller aussi loin à chaque fois pour faire un film. Comme ce quartier qui allait naître se situait à quelques rues de chez moi, j’ai tenté de changer de rapport d’échelle pour voir si tout ce que j’allais chercher très loin par exemple, je ne pouvais pas le retrouver ici. Ça semble moins exotique au départ, l’endroit est assez banal mais il y avait une expérience à faire, en fait c’était excitant de se dire qu’il fallait trouver, donc pour ça il fallait réapprendre à voir en quelque sorte, chercher sur le terrain, construire en fonction dans un périmètre restreint. Et puis ce quartier-là à imaginer m'intéressait car il était sur le papier assez séduisant par rapport à d’autres dans la même ville.
Peu de personnages apparaissent dans votre film. Comment faire un film quand on ne peut que difficilement rencontrer les gens ?
Comme c’est une friche, un ensemble de terrains vagues, il n’y avait pas grand monde. Mais il y avait des traces du passé industriel, les vieux bâtiments et aussi des traces d’animaux, la végétation. Je trouvais intéressant de leur donner autant de place qu’à un architecte ou un ouvrier puisqu’ils racontent le site d’une autre manière. Donc parfois il y a la parole et des rencontres et parfois on suit un changement de saison, la destruction d’un bâtiment, une ambiance de nuit. Le paysage n’est pas juste l’illustration de ce qui se dit. Et comme ça ne passe pas essentiellement par les gens, ça passe par la forme et le son, par une histoire de regard, comment filmer. J’ai poussé cette recherche formelle parce que le sujet s’y prêtait, on passe du rêve à la réalité, et parce que je m’interrogeais sur ce que veut dire aujourd’hui « faire un documentaire ».
Comment avez-vous organisé le tournage et l’écriture de ce documentaire ?
Au départ, j’ai cherché quelques principes. Par exemple, je voulais travailler sur une longue durée pour produire mes propres archives. Je voulais reproduire les mêmes plans tous les six mois. J’avais le tracé des futures rues sur une carte et je devais les voir sur le terrain avant qu’elles existent, je devais moi aussi préparer le terrain. Et je devais attendre quelques années pour savoir si c’était une bonne direction pour le film mais peu importe. Filmer aujourd’hui, revenir demain, dans un an, dans cinq ans. Là il y aura un bâtiment, donc la perspective va changer. Ici ce sera une place. Je voulais faire un film avec tout ce que j’allais trouver dans ce périmètre de 53 hectares, sachant que tout pouvait y être important pour montrer le temps qui passe, la ville qui change, le changement d’époque et au final la fragilité des choses.
Etiez-vous entouré d’une équipe ?
Non parce qu’il y avait un problème de temporalité. En fait c’est le chantier, c’est l’avancée du projet urbain qui dictait sa temporalité et moi je devais m’adapter. Il y a eu des phases de tournage qui alternaient avec des creux de six mois agrémentés au quotidien par des visites régulières en fonction de l’avancée des chantiers ou des événements ou de nouvelles idées à tester. C’est pour ça que j’appelle ça une chronique.
Propos recueillis par Elodie Tillet