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Pouvez-vous résumer rapidement ce qui vous a amené à la réalisation du film Otro Sol ?
L’idée de faire des adaptations des archives judiciaires, de prendre des archives judiciaires comme base narrative, peut-être, ou comme style d’écriture de soi-même, et le mettre en résonance avec un autre style d’écriture, de captations du réel qui m’intéresse aussi. Il y a quelque chose que je trouve attirant dans les lieux et les événements. Il y a quelque chose qui m’intéresse dans le fait de relier une archive avec l’endroit où la chose a eu lieu. Même si c’était trente ans avant, cinq ans avant, une semaine avant, et je pense que cette démarche là, elle m’a amené à essayer de confondre les temporalités. Si dans un endroit physique, il y a eu trois, quatre événements différents, pourquoi pas les mettre ensemble ou les faire cohabiter, vu que le cinéma permet cela.
Était-ce la première fois que vous vous intéressiez à cette recherche autour de la cohabitation d’événements ?
Non, les films que j’ai fait se ressemblent quelque part, en termes formels et en termes de sujet. Je dirais qu’ils ont tous une relation très intense, avec le territoire déjà, avec le mètre carré sur lequel on est en train de filmer, les montagnes, les regards qui sont là, la terre qui est là. Avec des événements qui ont eu lieu dans ces endroits-là, et les gens qui habitent dans ce genre d’endroits là, aujourd’hui.
Comment en êtes-vous arrivé à la réalisation de courts et de long-métrages ? Quel genre d’études avez-vous effectué ?
J’ai fait des études de cinéma à Santiago, qui ne m’ont pas servi à grand chose. De toute façon, ce que j’en tire, ce sont les gens que j’ai rencontrés, qui est l’équipe avec laquelle je travaille. J’essaye que ce soit toujours la même équipe technique. Ensuite, j’ai commencé à m’intéresser plutôt au monde de l’art, et j’ai créé des installations vidéo. J’ai fini mes études au Fresnoy, dans le nord de la France, qui est une école d’art contemporain, plus que de cinéma. Je pense que c’était ça que je cherchais, ne pas me limiter au cinéma. Mais je pense que j’ai toujours su que je voulais faire ça.
Vous étiez une équipe importante pour Otro Sol ?
Elle est intéressante cette question. Tu penses qu’on était combien ? C’est quoi ta sensation en voyant le film ?
On a le sentiment que vous êtes seul derrière la caméra, on n’imagine pas toute une équipe technique derrière.
C’est intéressant. J’ai un ami, un assistant réalisateur, qui me disait que lui aussi avait l’impression que j’avais tourné tout seul, en voyant les rushs. En tout cas, on était une toute petite équipe de fiction, nous étions une dizaine : un assistant réalisateur qui était chef décorateur aussi, trois personnes à la caméra et quelqu’un qui faisait à manger par exemple, comme dans les tournages de fiction.
Vous parlez d’une équipe de fiction, justement est-ce vous considérez Otro Sol comme une fiction ou un documentaire, ou alors un mélange des deux ?
Je ne sais pas si je peux répondre si c’est une fiction ou un documentaire parce que je ne pense pas dans cette logique là en général. Je pense plutôt en termes de stratégies de tournage, de design de production, comment on analyse la production. C’est la lourdeur du tournage ou non, qui va un peu changer le rapport que tu vas avoir au réel et aux personnages. Moi à la fac, on m’apprenait que faire un documentaire c’est la promesse que ce qu’on est en train de voir et le monde dans lequel on vit, c’est la même chose, on vit dans le même monde que les personnages du documentaire. Si on utilise cette définition, c’est un documentaire, mais c’est aussi une adaptation de documents, un documentaire de reconstitution, ce qui fait que ça rentre dans la fiction. Ou dans la fictionnalisation de la mise en scène de gens qui sont réels, mais je leur demande de jouer quelque chose qu’ils font tous les jours. C’est quelque chose que j’aime beaucoup explorer, ces glissements entre les régimes de réalités.
Comment est né le film Otro Sol ?
Au Chili, il existe un mythe comme quoi nous avons les meilleurs voleurs à l’international. C’est un mythe qui est étrange car ça réveille en nous une sorte de fierté, ce pays au fin fond du continent américain qui a des voleurs très importants. Moi, je croyais que c’était un mythe très chilien, et que c’était très local, mais quand j’ai commencé mes recherches pour le film, je me suis rendu compte que les journaux anglais, hollandais et australiens confirmaient cette théorie. Je suis tombé sur des journaux, sur des interviews de Scotland Yard, la police d’investigation anglaise, qui confirmait, en effet, que les bandes de voleurs chiliens sont extrêmement difficiles à capturer, et que ce sont des gens extrêmement doués, avec des techniques de cambriolage très fines et développées. Tout cela restait très théorique, ensuite quand j’ai commencé à rencontrer les personnages, je me posais la question suivante : pourquoi avions-nous toute une génération de voleurs très doués qui sont partis à l’international ? En rencontrant les personnages, j’ai commencé à trouver la réponse : dans les années soixante-dix, pendant la dictature militaire de Pinochet, on torturait les voleurs. C’est une longue histoire, mais c’est lié au commerce de drogue, Pinochet voulait avoir le monopole de la distribution de cocaïne au Chili, c’est ce qu’on appelle la cocaïne noire de Pinochet. Capturer les voleurs, c’était une façon d’arriver aux dealers, car en général, lorsque tu étais voleur, tu vendais ou volais aussi de la drogue. Donc lorsqu’on te voyait en train de voler un sac par exemple, on ne te posait pas de questions, on t'emmenait au centre de torture. C’est pourquoi toute une génération de voleurs s’est enfuie du pays, car c’était impossible pour eux d’exercer leur métier. J’ai trouvé cette réponse en faisant le film, mais mon intérêt au départ, c’était la construction du mythe.
Comment avez-vous choisi les personnes qui apparaissent dans le film ?
Je les ai choisies en posant des questions à des amis, à des gens, en suivant des pistes, entre des gens qui te donnent une piste très floue qui ne mène nulle part, ou qui peut t’amener vers quelqu’un de lumineux, à qui tu propose de faire un film, et qui accepte. Mais en tout cas, ce qui a marché, je trouve, c’est le fait de leur proposer de raconter des histoires. On a peut-être envie que nos histoires de vie soient mises en valeur. C’est là, je crois, que les gens se sont sentis servis par le film.
Par exemple, le mineur que vous filmez en ouverture est vraiment un mineur dans les montagnes du désert d’Atacama ?
On va dire ça.
Vous l’avez arnaqué ?
Non lui je ne l’ai pas arnaqué.
Est-ce qu’il y avait une forme de direction des personnes présentes à l’image ? Est-ce que vous avez fait plusieurs prises pour une même scène ?
Parfois oui, parfois il y avait de la direction, en fait je crois qu’il y avait de la direction dans toutes les scènes. Mais par exemple, dans une scène légère que j’aime beaucoup, celle qui se déroule la nuit, pendant un repas, où les personnages sont tous ensemble et sont tous ensemble en train de boire. Je savais que pendant cette scène il fallait que le personnage d’Eugenio passe et crie quelque chose toutes les vingt secondes, je lui avais donné une indication à ce propos. Le personnage de Claudio devait lui raconter une histoire, il fallait que ce rituel de nettoyage avec la plante arrive. C’est une scène construite comme on construit une scène de fiction, la caméra est posée au bon endroit pour pouvoir pivoter et suivre un personnage, tout était de la mise en scène de fiction. Après, elle a été construite par les comédiens eux-mêmes. Par exemple, les premiers jours de tournage, Eugenio était très perdu, il ne comprenait pas trop ce qu’il fallait faire, ce qu’on voulait, il était un peu stressé, cela m’a pris un moment de le rassurer en lui expliquant que tout allait bien. En fait, il ne comprenait pas toute la logistique des caméras et des micro, donc au début il était un peu nerveux, et ce même premier jour de tournage, à la fin de la journée, je me rappelle qu’on était en train de préparer la scène de nuit. Et là, il me crie de très loin : « Francisco ! Il finit où le cadre ? ». Je réponds « Comment il finit où le cadre ? » «-Je veux savoir jusqu’où je peux aller pour ne pas sortir du cadre.» Il avait tout compris en quelque sorte du tournage. Mais oui, ils étaient tous dirigés, bien sûr.
Suiviez-vous un scénario précis pendant le tournage ? Avec des dialogues ?
Non pas pour les répliques, ça ne marche pas pour moi. Ça m’arrive beaucoup d’enregistrer des conversations, et ensuite les mettre sur papier, et c’est à partir de là que je construis les scènes et même des dialogues. Les dialogues, pour moi, c’est un exercice qui permet d’organiser un peu le scénario. C’est aussi nécessaire pour trouver des subventions pour financer un film. Mais donner un dialogue rigide à quelqu’un qui n’a pas une formation de comédien, c’est le tuer.
Vous les laissiez improviser alors ?
Improviser non, mais on prépare ensemble, on explique la situation, on essaye d’être tous les deux convaincus. Tout ça a l’air simple, mais ensuite il y a les répétitions, et c’est à eux de proposer ce qu’ils disent.
Otro Sol si on le traduit littéralement signifie « Autre Soleil », pourquoi ce choix ?
Je n’arrive pas à retrouver la source même, mais c’est d’après un poème de Blanca Varela, qui est une des plus grandes poétesses du XXe siècle en Amérique Latine, elle était péruvienne. Sa poésie m’a toujours bouleversé, elle m’a toujours beaucoup aidé à trouver des sentiments assez justes, pas que pour le film, aussi dans ma vie, même quand je suis un peu perdu ou embrouillé, j’essaye de chercher dans sa poésie. En tout cas, lorsque j’étais en train de faire Otro Sol, il y avait un vers dans lequel elle ne parlait pas d’or, elle parlait de sexe, elle disait : l’ascension à la sainteté est le seul endroit humide, c’est un autre soleil. Ou quelque chose comme ça. Dès que je l’ai lu, je me suis dit que c’était ça. Cela me paraissait tellement évident. Ce que j’aime bien, c’est que même moi, je ne comprends pas ce que ça veut dire ce Otro Sol. Pour les Mexicas - ou Aztecas - l’or était l’excrément du soleil.
D’où vient l’idée de filmer un cadavre simplement en montrant son oreille ? D’ailleurs, les deux garçons sont attirés par une des oreilles, de façon assez étrange, pas très réaliste, assez mystique.
Cela m’a pris beaucoup de temps à trouver la représentation, à trouver l’artifice pour que le spectateur puisse sentir que c’est l’oreille qui a appelé les personnages. Mais c’est vrai, c’est l’oreille qui les appelle, c’est l’artifice du film qui les invite à participer au film. Si j’ai choisi de représenter une oreille, c’est parce que je me rappelle qu’un des personnages avait coupé l’oreille à un autre. Ce n’est pas si clair dans le film, parce que nous avons changé des choses dans le montage. Une oreille c’est une partie très étrange du corps humain, c’est aussi par intérêt esthétique.
Combien de temps ont duré le tournage et le montage ?
Le tournage était très court, nous avons financé ce film avec des subventions de court-métrage, c’était assez difficile à chaque étape, nous manquions d’argent. Le tournage a donc duré peu de temps, onze jours au Chili, puis trois en Espagne. Nous avons travaillé assez vite, et ensuite le montage a pris beaucoup de temps, neuf mois, ce n’était pas un film facile à monter.
Quels sont les artistes dont vous admirez le travail ?
Il y a James Benning que j’aime beaucoup, j’ai toujours énormément aimé son travail. Mais ce que j’aime comme cinéma… Hier, j'ai vu un film de Maurice Pialat, Passe ton bac d’abord, et je me suis dit qu’il était vraiment bien Pialat. Il montre à quel point, nous, les êtres humains, nous sommes monstrueux, à côté de la plaque, et nous pensons prendre les bonnes décisions alors que nous sommes juste en train de faire n’importe quoi. J’aime aussi beaucoup le cinéma de Kiarostami, ça me fait rire. J’aime beaucoup le cinéma qui me fait passer un bon moment, et qui fait un effort pour imprimer du temps présent. Un film chilien qui ressemble à un film de Hollywood, je trouve ça triste. Cela ne sert à rien en plus. Si il n’y a pas de signe culturel dans lequel on peut se reconnaître, je trouve ça dommage.
Avez-vous des projets en préparation en ce moment ?
Oui, j’ai deux courts-métrages qui sont déjà entièrement tournés, je suis en train de terminer le montage. Ensuite, il y a deux longs-métrages auxquels j’aimerais bien me dédier. Il y en a un qui se passe entièrement au Chili, peut-être avec quelques personnages de Otro Sol, cela pourrait être une sorte de suite, et l’autre que j’aimerais bien faire, ce serait entre Marseille et Alger, qui sont deux villes qui ont une architecture qui peut se confondre.
Propos recueillis par Barnabé Coulon
Film projeté Samedi 1er Avril à 15h45 au Centre Pompidou (C1)