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Billet de blog 3 juin 2024

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Famille, je vous hais

Dans un documentaire fort et intelligent, l’écrivaine Christine Angot, incestée par son père, passe les paroles qui l’entourent au miroir de la caméra. Parce qu’"Une famille", ça ne peut pas être ça, et pourtant c’est ça.

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Ecrivaine, écrivilaine

Christine Angot est peut-être la Marguerite Duras de notre époque : l’autrice d’une oeuvre littéraire de premier plan ramenée à une marionnette médiatique, alcoolique pour l’une, hystérique pour l’autre. Comme s’il y avait encore aujourd’hui en France une difficulté à reconnaître la force d’une oeuvre artistique lorsqu’elle est pensée par une femme. La séquence du film qui reprend le plateau de Thierry Ardisson est à ce titre d’une violence sidérante.

Deux choses pourtant frappent dans ce film : la beauté de cette femme - même quand elle est filmée dans de vieilles vidéos des années 90 - et sa rigueur intellectuelle. Cette puissance de la pensée m’a aussi impressionnée chez Judith Godrèche : quand on est niée dans sa vérité, c’est une question de survie que d’être capable de saisir immédiatement l’erreur de certains propos, et de les contester. Cela demande une profonde intelligence et un usage combatif de la pensée - bien loin de la pathologisation qu’on accole parfois aux victimes.  

Parole, parole, parole, parole

Christine Angot est en quête d’une parole qui la reconnaisse pour ce qu’elle est, c’est-à-dire qui soit capable de se décentrer et d’envisager son point de vue, son vécu. En ce sens, Angot est dans une dynamique décoloniale. 

Elle se tourne d’abord vers sa belle-mère, la femme de son agresseur. Il est troublant de voir comment cette femme lui affirme qu’elle l’écoute sans jamais l’entendre. Elle la recouvre d’une idée aux relents psychanalytiques : tu as manqué de l’amour d’un père… sans jamais reconnaître : tu as été violée par mon mari. D’une façon plus émouvante, la propre mère de Christine Angot demeure dans une impossibilité à voir : elle ramène l’histoire de sa fille à sa propre douleur de mère, parlant de son propre vécu d’une rupture, amorcée aux 13 ans de Christine, quand elle commence à voir son père. Elle entreprend une justification maladroite : j’avais senti mais je n’ai pas compris ; il est toujours question de moi, pas de toi. 

C’est finalement sa fille qui va être capable d’avoir les mots qui libèrent. Les trois générations successives présentes à l’écran portent un espoir immense. Une jeune femme cherche ses mots, prend le temps, regarde sa mère plutôt que la caméra, et va être capable d’entendre et de formuler. Son père, et ancien époux de Christine Angot, ayant ouvert la voie. 

Eleonore affirme un paradoxe : l’inceste aurait pu ne pas arriver à sa mère, mais pour elle, sa fille, il a toujours existé, il lui est presque incorporé. Cette façon d’envisager les générations, et le rapport au trauma de celle qui précède, pointe dans certains détails : les origines juives de « christine », les ancêtres esclaves de Charlie. C’est peut-être là où Angot opère, quoi qu’on en dise souvent, bien plus qu’un récit autobiographique, qui n'en demeure pas moins essentiel aux déconstructions en cours aujourd'hui. 

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© Nour Film

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