Une bande son impressionnante, des images sublimes et la reconstitution d’une époque sombre de l’histoire chilienne : Les Colons est un film ambitieux. On pense à Cimino, au Deadman de Jarmush, au Barry Lindon de Kubrick...
Trois cavaliers partent ouvrir une route vers l’Atlantique, sur les ordres de José Menendez, propriétaire terrien roi de l’or blanc. Ce dernier, personnage historique, a été qualifié par l’historien José Luis Alonso Marchante de véritable « roi de la Patagonie ». Le trio du road movie est une variation sur le bon, la brute et le truand : Segundo, le métis croyant, est emmené par le lieutenant MacLennan, personnage historique du "Cochon rouge", qui s'est vu imposer de cheminer avec Bill, mexicain sans scrupule et chasseur d’indien réputé. A eux trois, ils traversent des paysages grandioses de western, parcourant une terre qu’il s’agit toujours de s’accaparer.
Le caractère pictural de certains plans fixes opère des moments d’arrêt dans un enchaînement de violences banalisées. Des indiens entr’aperçus dans la brume à l’entrée de leur tente, des oiseaux s’envolant devant le pan rocheux d’une montagne… mais rien de gratuit à ces images marquantes, qui signent l’effacement d’un peuple, ou l’arrivée aux confins du monde. Aux images ethnographiques à peine vues succède la fabrication cinématographique d’un couple d’indiens acculturés, buvant le thé. Felipe Galvez Haberle ne reconstitue pas les images du peuple Selknam. Il le montre dans une fumée vue au loin sur la forêt, dans des corps disparaissant dans la brume. Le film passe violemment à travers cette présence suggérée, fugace. Le générique de fin se déroulera sur les actualités du clan Menendez. La fabrication de l’image est du côté des vainqueurs et participe elle-aussi de la colonisation. Restera le fragment de récit d’un témoin traumatisé, retiré à des kilomètres de la Terre de Feu, sur l’île de Chiloé.
On parle peu, dans une langue qui n’est pas toujours accessible à ceux qui sont là. Tout n’est que geste d’ennui, de violence ou de prédation. Les quelques répliques, lapidaires, ne livrent aucune compréhension psychologique des personnages, dont les trajectoires narratives elles-mêmes nous échappent. Cette histoire chilienne qui peine à s’écrire induit un filmage tout en rupture. Aux cartons rouges soulignés de percussions s’ajoutent de brusques changements d’ambiance, comme lorsqu’on se retrouve sans s’y attendre dans le salon de José Menendez pour un concert familial. Scène policée, bercée de voix d’enfants, qui dégage grâce à sa mise en scène un malaise glacial.
Felipe Galvez Haberle réalise un grand film, violent, tourné vers l’histoire du cinéma (et son format 1,66/1) qui interroge tout autant l’origine de l’image que celle de la violence.

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