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Billet de blog 8 avril 2024

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« El juicio » : ce que c'est qu'une dictature

De 1976 à 1983, l’Argentine subit un dictature militaire. En 1985, ses principaux dirigeants sont jugés pour crime contre l’humanité. De ce procès exemplaire, Ulises de la Orden dégage l’essentiel et nous le donne à comprendre en 18 chapitres. Alors que le fascisme revient en Europe et que Milei a été élu en Argentine, rappelons-nous ce que c’est qu’une dictature.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ulises de la Orden et son monteur Alberto Ponce ont réalisé un travail remarquable à partir de 530 heures de vidéo, enregistrées lors des 90 jours d'un procès méconnu en Europe. En 1985, soit deux années après la fin de la dictature militaire, ses dirigeants sont jugés. Eclate au grand jour la complexité et la réalité de ce qu'a été cette dictature.

Au départ, la redéfinition de la notion de guerre

El juicio met en son point de départ un débat sur la définition de la guerre. C’est que s’il y a guerre, il y a régime d’exception sur le plan de la justice, et donc justification de l’oppression, au nom du combat contre la subversion. Ce refus de reconnaître toute responsabilité, au prétexte que la guerre menée justifiait tout, devrait nous alerter sur le « réarmement » ambiant. Faire passer pour une guerre ce qui n’en est pas a été en Argentine le point de départ de tous les abus de pouvoir. 

Comment le régime se maintient-il?

El juicio consacre un chapitre au vol. Il démontre, parfois avec une bouffonnerie tragique, que celles et ceux qui ont subi des persécutions politiques ont aussi été spoliés, par de petits malfrats ou par de grands bandits. On pense à Claude Lanzmann en Pologne constatant l’intérêt qu’avait eu certains voisins à la déportation des juifs. Dans le film de Ulises de la Orden, si seuls quelque responsables sont jugés, beaucoup d’autres ont tiré profit de la situation.

Ce que c’est qu’une disparition

Il est question de torture. Il est aussi question des disparu.es, estimés à 30000. La disparition d’une personne opère une destruction de toute sa famille, et participe d’une nécrose des liens sociaux. Viennent témoigner des pères, des mères de la place de mai, au deuil impossible, tendu.es dans une attente insoutenable. 
Et à cela s’ajoute la mise en doute de la disparition par ceux-là même qui l’ont orchestrée. Peut-être ce.tte prétendu.e disparu.e est-iel à l’étranger, peut-être vit-iel sous une autre identité… La falsification des faits accompagne la morgue des dominants, de leurs avocats, et leur absence totale de culpabilité, devant les hommes et devant dieu. Celui qui a le pouvoir l'exerce aussi sur la vérité.

Le corps militaire

Les corps, les visages, les expressions de ceux qui savent qu’ils dominent sont éloquents face à à ceux des victimes. La domination ne prend pas seulement la forme d’un système politique dictatorial ou d’un uniforme. Elle s’incarne aussi dans des tons de voix, des ports de tête ou de poitrine, des regards sélectifs. A leur procès-même, bien qu’accusés, les dominants conservent tout un habitus de mépris et d’assurance. Il n'y a là que des hommes. On pense à L'art de tournage en rond, de Serge Giguère et Maurice Bulbulian, qui, en 1985 également, filmaient le Conférence constitutionnelle sur les peuples autochtones du Canada : tout dans les corps, les gestes et les voix des autochtones et des ministres des provinces disaient deux façons d'envisager le monde, et la politique.

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© Polo Sur Cine

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