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Billet de blog 8 août 2023

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« Les filles d'Olfa » est-il un film anti-féministe ?

La réalisatrice tunisienne Kahouter Ben Hania s’installe dans une famille et donne à voir une mère monstrueuse, dont le pouvoir s’exhibe et se renforce devant la caméra. Aux dépens de ses filles, qui peinent à entrer en révolte.

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    Les filles d'Olfa fait débat entre nous. La réalisatrice, que nous avons rencontrée il y a quelques années et dont nous avions apprécié le regard porté sur le monde, affirme dans ses entretiens qu’elle a filmé une tragédie. Olfa serait une Médée moderne. Rappelons que Médée, c’est l’amoureuse qui l’emporte sur la mère, et qui inverse les valeurs patriarcales du monde méditerranéen. Mais Olfa se rapproche plutôt de Clytemnestre : elle a évincé / tué le père de ses quatre enfants, avec certains desquels va s’engager une lutte / à mort. Dépassement bien inquiétant du patriarcat par le matriarcat.
    Olfa, c’est en effet l’exercice du pouvoir en position de mère. Sans aucune prise de conscience, s’excusant sur sa propre histoire, et se plaçant en victime du sort et des hommes, elle exerce sur ses filles - comme sur la comédienne qui va jouer son rôle lors de leur première rencontre - une emprise et une manipulation sidérantes. Peut-on justifier la violence que l’on exerce sur d’autres femmes du fait que l’on se met en scène comme une victime du patriarcat? Le rôle du cinéma, c’est parfois de nous permettre de sortir d’une fascination morbide pour les structures qui gouvernent nos sociétés.
    Se pose alors la question de la manipulation du côté de la caméra. Olfa n’est-elle pas le miroir de la réalisatrice? Les deux jeunes soeurs, qui pleurent beaucoup à l’écran, n’ont pas droit à être incarnées par des actrices pour les scènes difficiles, à la différence de leur mère. Ce dispositif suggère que c’est Olfa la victime à protéger. Les filles semblent alors avoir du mal à se situer. L’une répète plusieurs fois qu’elles font un film, mais elles se retrouvent plutôt en situation de jeu de rôle, à interpréter leur propre personnage dans des confrontations qui n’ont parfois pas eu lieu. La scène glaçant avec le beau-père ouvre de ce point de vue sur la seule respiration de tout le film. Le seul homme qui apparaît à l’écran interrompt cette scène et demande à la réalisatrice un échange off « qui ne soit pas de la matière filmique ». La plus jeune des deux filles est en effet bouleversée face à cet acteur qui joue l’homme qui l’a abusée. C’est lui qui pose une limite, une règle, une éthique que les femmes semblent incapables d’envisager. N’est-ce pas mettre en scène l’incapacité des femmes à s’auto-organiser et le besoin d’une figure patriarcale pour poser un cadre?
    Rien ne semble avoir été compris, ni transformé. Les motivations des filles qui sont parties sont réduites à une crise d’adolescence. Olfa reste au centre, la mère toute-puissante, ses petites filles à ses côtés. Aucune émancipation ne se profile pour aucune de ces femmes. De ce point de vue-là, on est bien dans la tragédie grecque, en ce qu’elle réaffirme les valeurs d’un monde patriarcal. Mais aucune catharsis n’a eu lieu. Reste un malaise profond et aucune empathie pour cette cellule familiale féminine où toutes les interactions se ramènent à des jeux de pouvoir. 

Illustration 1
Olfa, visage souriant de l'emprise © Tanit Film

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