Une histoire du point de vue des dominé.es
Alethea Arnaquq-Baril l’affirme : rien de plus étrange pour un Inuk que l’expression de sa colère. Et pourtant, elle prend sa caméra pour dénoncer une nouvelles atteinte faite à son peuple. En interdisant le commerce des peaux de phoques, tout en reconnaissant une « exception » inuk, l’Union Européenne exerce sa domination économique et culturelle sur ce peuple du grand Nord.
La réalisatrice montre que l’autorisation d’une chasse de subsistance n’empêche pas l’effondrement du commerce des peaux, nécessaire à la vie économique de la communauté autochtone. C’est que nous voulons bien voir les Inuk dans leur authenticité ethnographique, mais pas partie prenante de la mondialisation économique. L’exotisme est aussi une exclusion farouche des « autres » de notre confort de vie - que nous érigeons pourtant, en toute contradiction, comme horizon d’attente universel. L’intrication des dominations culturelle, politique et économique met en difficulté un peuple qui a besoin de la totalité du phoque pour survivre, et pas seulement aux conditions climatiques extrêmes. Le film montre comment les politiques européennes et les grandes associations animalistes refusent d’envisager le point de vue des dominé.es. Convaincant et dérangeant, le documentaire suggère qu’une certaine idée de la protection de la nature est une des facettes d’une hégémonie culturelle. On pense aux travaux de Nastassja Martin dans Les âmes sauvages et à la façon dont elle réunit dans une même ontologie, dite naturaliste, extractivistes et promoteurs des parcs naturels.
Ce film devient alors encore plus vertigineux si nous acceptons de l’envisager comme un miroir de certains rapports de domination qui s’exercent au sein de nos sociétés. Charles Stepanoff en suggérait quelques éléments dans son ethnographie d’une communauté de chasseurs en France dans L’animal et la mort. C’est que la « ruralité » revendique aujourd’hui son autochtonie, dénonce la colonisation des résidences secondaires et la domination culturelle qui porte un fort mépris au monde agricole, économiquement exploité par la grande distribution. L’argument économique et le fait qu’il ne s’agisse pas d’espèces en voie de disparition sont des arguments présents des deux côtés de l’Atlantique. La stigmatisation violente sur les réseaux sociaux et l’usage polémique de certaines images se retrouvent également sur les deux continents.
Il ne s’agit pas de superposer deux situations très différentes mais, au gré de quelques échos, de considérer à quel point une forme de domination nous échappe quand nous sommes du côté des dominant.es.
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